Mr Turner

Un physique peu avantageux est souvent compensé par d'autres qualités. Le film de Mike Leigh en apporte la preuve avec ce biopic sur les dernières années de la vie du peintre William Turner. L'artiste vit alors avec son père qui lui sert d'assistant pour la préparation du matériel et avec une servante qui s'accommode du caractère bougon de cet homme aux manières vulgaires. Un physique imposant mais disgracieux, une démarche lourde, des grognements en guise de réponses, rien ne laisse supposer les fulgurances de cet esprit solitaire, complètement accaparé par son art. Contrairement à ses collègues de la Royal Academy, il suit son chemin pictural sans se soucier des remarques malveillantes, des jalousies. Sa passion, c'est la nature ; ses promenades fréquentes en bord de mer, ses voyages à l'étranger, l'amènent à faire des croquis des paysages qu'il côtoie, des mouvements de l'eau, du soleil, de la lumière. Poussin , son maître, place lui aussi la nature au premier plan. Mais Turner va plus loin, son obsession va devenir la lumière aux dépends du sujet traité. Que ce soit par le fond ou par la forme, il s'inscrit en novateur dans une période où l'art évolue : le sujet religieux ou historique n'a plus la priorité, en même temps que la photographie fait son apparition.
Sa vie affective est pauvre ; il fuit sa progéniture qui vit éloignée de lui, fréquente les bordels ; pourtant, il réussit à trouver un peu d'humanité et de complicité auprès de la propriétaire d'une pension du bord de mer où il aime séjourner. C'est auprès d'elle qu'il vivra ses derniers moments en 1851.
Ce film dense, porté magnifiquement par T. Spall met en relief la personnalité contrastée du peintre:comment être aussi rustre au quotidien et produire un peinture aussi raffinée ?Il nous parle d'une époque où il fallait un sens aigu de la liberté pour s'affirmer en dehors de tout académisme. A ce propos, j'ai regretté qu'il n'y ait pas de dialogues plus nourris sur la peinture, vu le rôle majeur qu'a joué Turner dans l'histoire de l'art. Il n'en reste pas moins que l'on ne s'ennuie pas une seconde pendant les deux heures trente de ce film bien rythmé, à l'esthétique soignée.
A voir sans hésiter