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Le blog de Ritournelle

Est-il possible d'être heureux sans travailler?

Ritournelle

On comprend que ce n'est possible qu'à la condition expresse d'échapper à l'ennui, de se libérer de l'alternative pernicieuse entre repos et divertissement. Cela exige de briser les habitudes, acquises depuis ce temps où l'on vous menait par la main à l'école. Celui qui est capable de vivre hors de la cité, disait Aristote, est un être dégradé ou surhumain, un animal ou un dieu. De fait, nos sociétés sont entièrement construites autour du travail.Le chômage ou l'inactivité sont des termes négatifs, désignant la privation d'emploi. Les rentiers sont parfois enviés mais le plus souvent décriés comme des parasites. Le week-end n'a de sens que comme récompense. Quant à la retraite, elle est le dimanche de la vie active. Ne pas travailler, c'est quitter ce quadrillage, c'est se retrouver à errer sans but un lundi matin ou encore se laisser surprendre par l'été, en ayant oublié que c'est la période des vacances. Quiconque sort du mode d'interaction sociale dominant risque de se trouver confiné dans une sphère domestique sans rapport avec l'extérieur. Et puis, il faut accepter d'être toisé de travers par les gens qui bossent, au bureau de tabac, et jusque dans les repas de famille. Ainsi, on ne peut être heureux sans travailler que si l'on cesse de se référer à la loi sociale sans se sentir coupable. Un déconditionnement intégral et indispensable. Nul roman ne le raconte mieux que Vendredi ou les limbes du Pacifique de Michel Tournier. Durant ses premières années sur l'île de Speranza, Robinson mobilise les artifices de la civilisation pour ne pas se laisser engloutir par la solitude et la folie. Il compte les jours à l'aide d'encoches sur un tronc; il institue le repos dominical durant lequel il revêt ses plus beaux atours et passe le reste de la semaine à marner dans ses cultures et ses élevages, et bien sûr, il édifie une forteresse. Ce simulacre d'ordre explose le jour où Vendredi met par inadvertance le feu à une réserve de poudre. Voilà la demeure de Robinson anéantie. Après cette catastrophe, le héros entre dans une autre dimension du temps, qui n'est plus arraisonnée.
"La liberté de Vendredi - à laquelle Robinson commence à s'initier les jours suivants -n'était pas que la négation de l'ordre effacé de la surface de l'île par l'explosion...Vendredi ne travaillait, à proprement parler, jamais. Il passait des jours entiers dans un hamac de lianes tressées qu'il avait tendu entre deux poivriers, et au fond duquel il abattait parfois à la sarbacane les oiseaux qui venaient se poser sur les branches, trompés par son immobilité" . Rééduqué à la vie sauvage par Vendredi, Robinson devient un chasseur-cueilleur. Il se sustente des fruits et des animaux que lui prodigue la nature. Il ne travaille plus, mais joue souvent. Il règle ses mouvements sur l'apparition et la disparition du soleil. Il est rendu à la présence élémentaire des choses. et c'est bien dans cette relation de proximité, tour à tour animale et divine avec la nature, qu'il goûte les bonheurs de ne rien faire.
En somme, pour ne pas travailler et être heureux, il faut être capable de claquer la porte de la civilisation.

Alexandre Lacroix - Extrait du dossier Peut-on être heureux sans travailler- Philosophie magazine n° mai 2015

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Commentaires
M
Bonjour,<br /> Excellent billet! À mon avis, c'est mieux d'avoir un boulot pour arrondir la fin du mois. Mais en tout cas, il faut faire ce qu'on aime pour se motiver. Je suis parvenu grâce au coup de pouce de Pierre≈ Gagner-argent.org. Et j'avoue que c'est une bonne chose de devenir autonome financièrement.
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R
Tout dépend des besoins de chacun, mais il est évident que si l'on veut vivre au milieu des autres, avoir un salaire et un travail peut être une bonne chose, à condition de faire le bon choix. Merci pour la visite!
C
Claquer la porte à la civilisation ? Peut-être pas, mais en tout cas, ouvrir la porte à la liberté. Liberté d'agir à son heure et à son rythme, liberté d'écouter, de voir, de rêver. Et surtout, avoir la disponibilité pour les "autres" , ceux qui travaillent, et leur apporter un peu de fraîcheur.
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