Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog de Ritournelle

Vider les lieux - Olivier Rolin

Ritournelle

Après Extérieur monde, Olivier Rolin nous offre un deuxième volet de son autobiographie, suscité par un événement qui a bouleversé sa vie pendant le confinement : l'obligation de quitter un appartement dans lequel il a vécu 37 ans.
Chacun sait qu'un déménagement signifie laisser un peu de son histoire dans un lieu, à fortiori si on y a passé de nombreuses années. Et quand on a une vie aussi riche que celle de l'écrivain, il faut nécessairement faire du tri, mais pas à la légère, en prenant le temps de faire revivre les fantômes du passé,  les émotions fortes et les sensations enfouies.
Cet appartement est situé 10 rue de l'Odéon, dans ce quartier où la littérature est amplement célébrée; déjà dans les années 20, cette rue a vu l'ouverture de la librairie anglaise Shakespeare and company, ainsi que celle d'Adrienne Monnier qui a édité la traduction française de l'Ulysse de James Joyce.
" On a beau s'en défendre, c'est sa propre tombe qu'on est en train de préparer. On n'est pas un pharaon, mais on rassemble des objets qui vous accompagneront sur la barque solaire".
Voilà une belle définition de ce que chacun essaie de conserver comme témoignage de tout ce qui remplit une vie : des rencontres, des passions, des objets, des livres, des voyages. Alors que précédemment, c'étaient ses différentes explorations du monde qui donnaient à l'écrivain l'occasion de se remémorer des textes et des auteurs en rapport avec les lieux, ici, il fait le chemin inverse en reliant chaque livre à des anecdotes qui s'y rapportent.
Quoi de plus important pour un homme de lettres que sa bibliothèque? Faire le tri, oui certes, il le faut, mais quel crève-coeur! Donner quelques cartons à un libraire de la rue et garder les 126 autres, qui sont une vraie richesse : "Une bibliothèque, me semble-t-il est entre autres choses, un moyen de se rassurer. Manipuler des objets de culture, dit Leiris dans "Frêle bruit", répond à l'espoir, d'essence alchimique, que quelque chose du savoir et de l'art qu'ils enferment passera en nous, par "sympathie". Aux  grands auteurs sont associées des émotions particulières liées à la liberté de leur écriture, comme Joyce, Calvino, Cercas, Kundera, ou encore à leur engagement :
"Ernesto Sabato m'inspirait le respect : sa vie, où la science et la peinture avaient eu une grande place, qui avait connu le communisme, le surréalisme, et finalement la lutte contre la dictature militaire argentine, me semblait donner à l'idée d'engagement dans le monde, dans le siècle, une dignité très éloignée de la pose qui en est souvent chez nous la caricature".
Outre les livres, il y a les objets, dont certains rappellent les femmes aimées, et les lettres, de personnes chères ou de lectrices. Comment ne pas se souvenir, en cette époque où la communication se fait par sms, de l'émotion causée par leur découverte dans la boîte aux lettres, et du plaisir à imaginer, à partir de la graphie et du papier, des bribes de la personnalité des inconnues qui les expédiaient ?
Dans ce voyage immobile, figurent les rencontres féminines, les conférences sur des écrivains partout dans le monde, les paysages contemplés dans le transsibérien ou d'autres trains mythiques et la Russie, celle de Tchekov, imaginée en traversant des provinces désertiques, et celle d'aujourd'hui, engagée dans une guerre qui détruit l'âme de ses citoyens.
Si le livre est empreint d'une certaine nostalgie tout à fait justifiée, il renferme aussi des notes d'humour, avec des personnages truculents comme le coiffeur de la rue qui connaît le tout-Paris.
On quitte à regret ces pages qui délivrent un message fort, universel et intime, riche d'expérience, de culture, et qui permet à Olivier Rolin d'être au plus près de lui-même dans ce départ forcé.
Grave, lucide et élégant.
Une lecture vivement conseillée!

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commentaires