Petite balade à San Sebastian
La page de la Concha, haut lieu du tourisme depuis 1945, considérée comme l'une des plus belles d'Europe
"Je suis en Espagne. J’y ai un pied du moins. Ceci est un pays de poètes et de contrebandiers. La nature est magnifique ; sauvage comme il la faut aux rêveurs, âpre comme il la faut aux voleurs. Une montagne au milieu de la mer. La trace des bombes sur toutes les maisons, la trace des tempêtes sur tous les rochers...
... Saint-Sébastien tient à l’Espagne comme l’Espagne tient à l’Europe, par une langue de terre. C’est une presqu’île dans la presqu’île ; et ici encore, comme dans une foule d’autres choses, l’aspect physique est la figure de l’état moral. On est à peine espagnol à Saint-Sébastien ; on est basque...
...Et puis les français sont partout ; dans la ville, sur douze marchands tenant boticas, il y a trois français. Je ne m’en plains pas ; je constate le fait. Au reste, à ne les considérer, bien entendu, que sous le côté des mœurs, toutes ces villes-ci, en deçà comme au delà, Bayonne comme Saint-Sébastien, Oloron comme Tolosa, ne sont que des pays mixtes. On y sent le remous des peuples qui se mêlent. Ce sont des embouchures de fleuves. Ce n’est ni France ni Espagne, ni mer ni rivière.
Aspect singulier d’ailleurs, et digne d’étude. J’ajoute qu’ici un lien secret et profond, et que rien n’a pu rompre, unit, même en dépit des traités, ces frontières diplomatiques, même en dépit des Pyrénées, ces frontières naturelles, tous les membres de la mystérieuse famille basque. Le vieux mot Navarre n’est pas un mot. On naît basque, on parle basque, on vit basque et l’on meurt basque. La langue basque est une patrie, j’ai presque dit une religion. Dites un mot basque à un montagnard dans la montagne ; avant ce mot, vous étiez à peine un homme pour lui ; ce mot prononcé, vous voilà son frère. La langue espagnole est ici une étrangère comme la langue française."
V.Hugo - Extrait de Note de voyage et dessins : Bordeaux, Bayonne, Espagne