Pourquoi avons-nous besoin de reconnaissance?
Tout désir est en son fond désir d’éternité, écrivait en substance Platon. Hegel rectifiera, notamment dans sa « dialectique du maître et de l’esclave » : tout désir est en vérité désir de reconnaissance. Nous ne désirons pas simplement aimer ou être aimés, mais que la valeur de notre amour soit reconnue par les autres. Nous ne désirons pas simplement un salaire pour notre travail, mais la reconnaissance de la qualité, de la valeur de ce travail...Et cette reconnaissance, précise Hegel, doit être objective : ainsi nous soumettons-nous au regard des autres, à leur validation, à leur jugement des objets – réalisations, œuvres, contrats de mariage, cadeaux.
Nous pouvons donc commencer par distinguer cette reconnaissance objective de la reconnaissance tout court. En précisant que la reconnaissance visée doit être objective, Hegel nous aide à résister à l’obsession d’une reconnaissance exigée au titre de ce que l’on est, non de ce que l’on a fait, manifesté ou prouvé. Mon opinion n'a pas à être reconnue simplement parce qu’elle est mienne, mais parce qu’elle est bien argumentée, habilement défendue. Je n’ai pas à être reconnu simplement parce que j’existe, mais parce que j’ai fait des choses intéressantes, originales, qui peuvent être objectivement reconnues par les autres. Si par exemple, j’aspire à être reconnu en tant qu’artiste, il faut que je produise des œuvres et les soumette au regard des autres, pas uniquement que je me déclare artiste, voilà ce que veut dire Hegel.
L’idée est simple, mais à l’heure où certains influenceurs sont parfois suivis par des millions de followers, sans rien faire d’autre que de narrer la banalité de leur quotidien, elle pet sembler difficilement audible...
Reste la question du pourquoi : pourquoi ce besoin de reconnaissance est-il si fort ? Probablement parce que nous allons mourir et le savons. Obtenir, avant de mourir, une reconnaissance objective de notre valeur, c’est échapper en partie à notre mortalité : peut-être que je vais mourir, mais ma valeur, elle, est éternelle…
Voilà pourquoi nous nous tournons vers les autres avec autant d’attente, de désir, d’intensité : nous avons besoin d’eux, qu’ils nous disent que nous ne valons pas rien. Et eux aussi. Chacun se tourne donc vers les autres avec la même attente, le même désir qui fait le sel de l’existence, tout en étant, au fond, impossible à satisfaire complètement.
Extrait de l’article Pourquoi désirons-nous tant être reconnus ?- C.Pépin – Philosophie magazine