Fêtes=cadeaux. D'où vient le plaisir d'offrir?
-Par générosité
Sénèque (4 av.J.C - 65)
"C'est le geste qui compte", dit-on parfois avec diplomatie pour excuser un cadeau maladroit...Qu'importe en effet le présent si l'intention est bonne - c'est à dire gratuite et désintéressée. Sénèque souligne ainsi que "la marque d'une âme grande et belle" est "de ne chercher d'autre fruit du bienfait que le bienfait lui-même". Pour le philosophe stoïcien, offrir ses services et distribuer ses"bienfaits" sans intérêt ni "vil calcul", sans attendre qu'on nous rende la pareille, est bien la marque d'un esprit véritablement généreux. Et vertueux! Car alors "seule l'idée du bien se dresse devant notre regard".
-Par intérêt
Nicolas Machiavel (1469-1527)
Il est des cadeaux électoralistes et d'autres empoisonnés. De l'argent, une montre de luxe ou un voyage dans les îles vous sont offerts...et finalement, vous vous sentez redevables. En fin stratège, Machiavel sait que la générosité du dirigeant est une qualité cruciale, mais elle est à manier avec précaution. " La libéralité serait chez un prince une excellente chose", écrit-il. C'est la meilleure manière d'écarter ceux qui convoitent sa place et de flatter le peuple...Elle n'est cependant une vertu que si elle en donne l'apparence. Car un prince sans le sou faisant preuve d'excessive générosité serait taxé d'incompétence.
-Par obligation sociale
Marcel Mauss (1872-1950)
Plaisir d'offrir, joie de recevoir! Derrière la trivialité de cette expression se cache un concept anthropologique majeur. Car les cadeaux s'échangent généralement selon une certaine réciprocité : il est d 'usage de proportionner ce que l'on offre à ce que l'on a reçu. Par ce geste de don et de contre-don, on s'oblige tacitement et on fait société. L'anthropologue Marcel Mauss discerne ainsi dans la pratique du don, ritualisé dans certaines sociétés, des "formes archaïques du contrat". La valeur d'échange est alors moins vénale que sociale. il s'agit toujours de "donner-recevoir-rendre"...
Et de dire merci.
-Par pure dépense
Georges Bataille ( 1897-1962)
Consommer sans trop compter, s'oublier dans la fête, se consumer dans l'excès...Ce programme n'est pas réservé aux très commerciales agapes de fin d'année. Bien au contraire. car la dépense n'est jamais meilleure que quand elle est "improductive", comme l'écrit Georges Bataille. La "pure dépense" a sa "fin en elle-même", elle est en soi un accomplissement, qui déjoue toutes les formes d'utilité auxquelles la société nous habitue. on n'offre donc pas de somptueux cadeaux par grandeur d'âme, par intérêt bien pesé, ou par obligation sociale : on le fait comme une expérience souverainement humaine de liberté. Un luxe, véritablement.
Pourquoi s'offre-t-on des cadeaux? A. Chanthanakone - Philosophie magazine n° déc. 2021