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Le blog de Ritournelle

Beauté et sensibilité

Ritournelle

La beauté semble bien être une puissance de séduction : on parle d'un beau geste technique, d'une belle démonstration ou d'une belle personne pour désigner ce qui nous ravit, c'est-à-dire ce qui touche nos sens ou stimule notre esprit. Dès lors, comment pourrions-nous y être insensibles? Mais la beauté nous paraît aussi à l'évidence parfaitement subjective : nous ne trouvons pas tous les mêmes personnes belles, et heureusement! N'est-il pas alors inévitable que certains restent de marbre là où d'autres seront subjugués par la beauté d'une oeuvre ou d'un paysage?
La difficulté à définir la beauté ne tient pas seulement à la diversité de ce que nous disons beau. Demandons-nous également ce qui se passe en nous lorsque nous trouvons une chose belle ou quelqu'un beau : est-ce une émotion, un sentiment, un jugement?
La capacité de certaines oeuvres à traverser l'histoire ne prouve-t-elle pas que la beauté n'est pas seulement subjective ni même culturelle?
L'insaisissable beauté ne se définit-elle pas précisément par sa capacité à s'imposer à nous et donc par le fait qu'on ne peut y rester insensible?
- On peut être insensible à la beauté car celle-ci est variable
C'est donc parce qu'elle s'adresse à notre sensibilité, mélange d'inné et d'acquis, de sensation et de jugement que la beauté peut nous laisser insensibles.
Bourdieu met au jour cette dimension du goût : là où les classes supérieures sont libérées des contraintes matérielles et pourront donc regarder une oeuvre qui représente un objet trivial dans la réalité, les classes populaires, davantage soumises aux nécessités matérielles, trouveront au contraire belles des oeuvres qui représentent quelque chose qui, dans la réalité est beau (une fille, un mariage, etc...) Notre sensibilité varie donc selon l'éducation que nous avons reçue et, surtout, l'environnement social dans lequel nous avons grandi.
Nous pouvons donc être insensibles à la beauté, car nous n'avons pas tous la même sensibilité. Mais n'y a-t-il pas des invariants?

-La beauté se définit par sa prétention à l'universel, ne devant laisser personne insensible
Comment comprendre en effet que des oeuvres traversent le temps et les époques s'il n'y a pas dans la beauté quelque chose qui touche à une forme d'universel?
Dire "c'est beau"d'une oeuvre ou d'un paysage, c'est supposer que tout homme pourrait ou devrait trouver cela également beau. Si la beauté est donc "ce qui plaît universellement sans concept", ne pas y être sensible n'est donc tout simplement pas une option.

La beauté est par définition ce qui nous touche universellement. Toutefois, ne peut-on pas, ne doit-on pas même se désintéresser de la beauté qui n'est que superficielle?
Hannah Arendt qualifie de "philistins" ceux qui se détournent de l'art au bénéfice de l'utilité. De la même manière nous pouvons évoquer la danse contemporaine ou l'art conceptuel d'une Sophie Calle qui privilégie le sens et l'idée à la beauté formelle, au moins dans son acception classique.

Nous pouvons être insensibles à la beauté, car nous n'avons pas tous la même sensibilité, et y être indifférents, car d'autres dimensions de l'existence semblent importer davantage. Toutefois, l'irrépressible effet de la beauté, quelle qu'en soit la forme, est le signe de ce qu'elle a d'essentiel pour nous.

Extrait de l'article Peut-on être insensible à la beauté ? Philosophie magazine n° juin 2022

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Commentaires
C
Très "bel" article !
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