Philosophie = sérénité?
Platon est entré en philosophie (ou plutôt il n'a plus pu ne pas y entrer) après le scandale de la mort de Socrate, assassiné par ses contemporains. D'après Aristote, c'est dans l'étonnement que naît la philosophie. Cet étonnement devant l'existence même du monde - devant le fait qu'il y ait quelque chose plutôt que rien - relèverait-il d'une forme de zénitude? Lorsque Marx entre dans l'arène philosophique, c'est pour ne plus simplement penser le monde, mais le transformer. Croyez-vous que l'esprit zen soit ce qui l'emporte alors dans son coeur de philosophe? Il me semble d'ailleurs qu'une belle manière de présenter la philosophie aux élèves est de la définir comme un remède à trop de tranquillité.
Peut-être n'avez-vous pas encore rencontré les drames de l'existence - deuils, maladies, grandes injustices, blessures d'ego...eh bien par la philosophie, nous allons les anticiper, les penser avant qu'ils n'arrivent, de manière à nous y préparer.
La philosophie me semble ainsi faite davantage pour inquiéter que pour rassurer, pour déranger que pour calmer. Préférer le sens critique au confort de l'opinion, préférer le doute à la certitude, ce n'est assurément pas chercher à rester zen. Zen serait plutôt celui qui ne se pose aucune question...Peut-être enfin que c'est le sage, plus que le philosophe, qui cherche à demeurer calme et tranquille en toutes occasions. Rechercher la sagesse serait alors rechercher cette forme d'apaisement.
Mais le philosophe n'est pas exactement un sage. Comme l'a écrit J.M.Besnier dans Réflexions sur la sagesse, le philosophe, lui, n'a pas éteint le désir, et ce désir est manque, intranquillité, qui tient en éveil, en vie. Il n'est pas désengagé comme le sage, mais engagé tout entier dans les questions qui le soucient, dans le monde, son oeuvre aussi parfois. S'il lui arrive heureusement de trouver une sorte de calme intérieur au coeur même de la tempête de la pensée et de la vie, il me semble donc qu'elle ne relève aucunement du zen, compris par le sens commun dans l'expression "rester zen". Un philosophe enfin peut très bien se mettre en colère, de cette colère saine qui nous fait agir et penser.
Le philosophe doit-il toujours rester zen? - C. Pépin - Philosophie magazine n°sept.2022