Aucun ours
« L'espoir de créer à nouveau est notre raison d'être. Peu importe où, quand et dans quelles circonstances, un cinéaste indépendant crée ou pense à la création. »
Ainsi s’est exprimé Jafar Panahi dans une lettre adressée aux organisateurs de la Mostra de Venise, festival où il a obtenu le prix du jury cette année. En détention pour six ans depuis le mois de juillet, à la suite du tournage de ce film, le cinéaste, accusé de « propagande contre le régime », a choisi la lutte contre un régime obscurantiste.
Depuis 2010, ses films sont tournés de manière clandestine . Pour celui-ci, il s’est installé dans un village près de la frontière turque, et a envoyé son équipe de l’autre côté de la frontière ; il la dirige avec son ordinateur depuis une modeste chambre louée à une vieille dame et son fils. Sa présence ne passe pas inaperçue, elle intrigue les villageois soupçonneux qui suivent tous ses gestes et ses allées et venues. Il passe le temps à prendre des photos des habitants, à circuler la nuit sur des chemins de contrebande. En un mot, il trouble la tranquillité du village. On l’accuse même d’avoir pris des photos d’une jeune fille et du garçon qu’elle aime, prêts à fuir pour vivre leur amour, alors qu’elle est promise à un autre depuis sa naissance…
Le scénario du film que le cinéaste tourne en Turquie reprend aussi une histoire d’amour contrariée, celle de deux comédiens ayant quitté l’Iran clandestinement , qui attendent impatiemment d’avoir leurs papiers de contrebande pour gagner la France ensemble, et qui n’en peuvent plus de cette situation qui les mine.
Doublement accusé de prendre des photos compromettantes et de vouloir s’enfuir la nuit pour passer la frontière alors qu’il est assigné à résidence, Jafar Panahi doit s’expliquer devant ceux qui représentent le pouvoir : le maire et le conseil du village, composé d’hommes uniquement. Il finit par comprendre qu’il est devenu indésirable…
Voilà un film qui fait magnifiquement écho à la situation actuelle de l’Iran, où les femmes opprimées depuis toujours ont le courage de s’opposer à un régime autoritaire répressif. Le cinéaste prouve , avec le même courage , son attachement au combat des femmes et à la nécessité de se rebeller contre le poids des traditions, au rôle de la fiction qui donne à voir la réalité par le biais de la tragédie et de la dérision.
Un film poignant qui nous rappelle le sens du mot liberté.