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Le blog de Ritournelle

Les sources - Marie-Hélène Lafon

Ritournelle

Comme à son habitude, Marie-Hélène Lafon nous plonge dans sa région d’origine, le Cantal, et plus particulièrement ici, dans la vallée de la Santoire où vit une famille « bien sous tous rapports », du moins en apparence. Car l’apparence compte beaucoup dans ce lieu isolé de campagne où l’on est attentif au regard de l’autre. Le père, la mère et leurs trois enfants vivent dans une ferme de 33 hectares avec 27 vaches, une belle maison d’habitation, et le personnel nécessaire pour tout mener à bien. Le dimanche, il y a le rituel des visites chez les grands-parents.Tout semble parfait, si ce n’est que l’ambiance familiale est soumise aux humeurs du père, souvent violent, et ce , très vite après le mariage.
L’écrivaine décrit l’intimité de la famille, une intimité douloureuse et silencieuse à une époque, celle des années 60, où les femmes subissent la domination de leurs maris sans broncher.
Le roman comporte trois parties, permettant d’envisager l’histoire chronologiquement à partir de 3 personnages. Le premier, celui de la mère, qui dresse un bilan de sa vie en 1967 : elle a 30 ans, 3 enfants, son corps s’est alourdi et enlaidi à force de fatigue et d'humiliation. Mais son orgueil d’être propriétaire , elle , fille de paysans, l’empêche de réagir au comportement de son mari.
Plus tard, dans les années 70, c’est le père qui se retrouve seul dans sa grande maison, sans comprendre la récente émancipation des femmes, avec le souvenir de sa jeunesse ensoleillée au Maroc et de ses mauvais choix. Il est fier de ses filles qui font de brillantes études, alors que son fils, lui, a hérité de la mollesse de sa mère, il ne l’imagine pas tenir une ferme.
Et aujourd’hui, c’est Claire, la fille cadette qui retourne sur les lieux de l’enfance 50 ans plus tard, sans pouvoir pénétrer dans cette maison, avec le coeur serré et les souvenirs malheureux qui affluent.
Avec toujours ce même talent à choisir les bons mots, à faire monter la tension, à exprimer la dureté du monde rural, Marie-Hélène Lafon nous entraîne dans des chemins de vie âpres où l’émancipation sonne comme une victoire méritée et inespérée dans un cadre figé . Elle célèbre aussi avec la même aisance la beauté de la nature , celle de l’odeur tiède et sucrée des feuilles alanguies , la poésie des gestes, des objets, de tout ce qui fait le quotidien de cette vie, avec ses valeurs, et l’importance des racines , qui nous construisent et auxquelles on revient inévitablement.

«
 La source serait là, une source. Elle préfère le mot source au mot racine. Elle a beaucoup retourné ces questions quand elle avait trente ou quarante ans. Elle sait que sa sœur et son frère s’arrangent aussi comme ils le peuvent avec cette maison des petites années, la cour et l’érable, Fridières et le reste. »

«  Le sanglier solitaire hume vers les fermes. Il connaît l’heure de la sieste . Il trotte un grand détour sous les frondaisons, puis de la corne la plus rapprochée, il s’élance . Le voilà . Il se vautre sur l’eau .La boue est contre son ventre. La fraîcheur le traverse d’outre en outre, de son ventre à son échine .
Il mord la source
 » .

"Sa mère aime cuisiner, nourrir, régaler son monde, et lui a tout appris avant son mariage. Elle répétait qu'une femme tient une maison par la table et son mari par le ventre. Maintenant cette phrase lui fait honte, et, dès qu'elle y pense, elle secoue la tête pour la chasser comme l'âne Jacquot quand des mouches viennent se poser au bord de ses paupières et lui sucer les yeux."

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