Quand tu écouteras cette chanson - Lola Lafon

Ritournelle

10 févr. 2023

Nombreux sont les écrivains qui participent à la collection "Ma nuit au musée" des Editions Stock. Lola Lafon n'a pas hésité longtemps pour choisir le musée où elle avait envie de se poser, l'espace d'une nuit, celle du 18 août 2021. Inconsciemment, la Maison Anne Frank à Amsterdam avait pour elle une résonance particulière, celle d'une adolescente victime de la Shoah dont le destin l'a toujours fascinée, et plus encore, une résonance personnelle plus intime, en rapport avec ses origines familiales.
Tout le monde a lu le Journal d'Anne Frank, certains se le sont approprié en le censurant, en modifiant la personnalité de cette jeune fille qui savait être caustique et impertinente.
C'est ce que rappelle à Lola Lafon la dernière personne à avoir côtoyé la famille Frank, Laureen Nussbaum, âgée aujourd'hui de 96 ans. Elle affirme qu'Anne voulait devenir écrivaine, une envie suscitée par l'appel radiophonique d'un ministre incitant les gens à conserver des témoignages de leur vécu. Anne a donc réécrit son journal dans le but de le destiner à des lecteurs.
La nuit dans l'Annexe est remplie d'émotion pour l'écrivaine. Elle sait que la famille Frank y a passé 2 ans, de l'été 42 à l'été 44, avant sa déportation, dont seul le père Otto sera sauvé.
Elle se recueille sur ces destins brisés, regarde des photos dans la chambre des parents, mais n'ose pas pénétrer dans celle d'Anne, un lieu qu'elle aurait l'impression de profaner.
Si elle est paralysée par l'émotion, c'est que cette famille la ramène à la sienne, dont elle a voulu oublier l'histoire pour mieux envisager sa propre vie. Ses origines juives russo-polonaises l'ont menée de la Bulgarie à la Roumanie, pays de sa mère, où elle a vécu jusqu'à l'âge de 12 ans avant d'arriver en France où se trouvait déjà sa grand-mère , Ida Goldman, depuis 1933; cette grand-mère passionnée de littérature lui avait offert un médaillon avec la photo d'Anne Frank, à garder précieusement , avec la promesse de ne pas oublier. Et l'anorexie dont Lola a souffert entre 13 et 20 ans est en quelque sorte cette promesse de fidélité aux absents.
Confrontée aux fantômes de son passé, elle réussit à dormir une seule heure et au petit matin, vers 6 heures, un élan subi la pousse à pénétrer dans la chambre d'Anne, elle est comme délivrée d'un poids qu'elle avait toujours voulu refouler : "J'étais au bord de l'abîme , mais je n'avais plus peur". Le silence dénonce l'absence, celle d'Anne, mais aussi une autre absence évoquée par la chanson des Bee Gees :"I started a joke" , le lien qui l'a unie à un autre adolescent disparu, Charles Chea, victime du génocide perpétré par les Khmers rouges.
Ce livre est bouleversant par sa capacité à nous évoquer les souvenirs que l'on enfouit, ceux que l'on déforme pour mieux s'en affranchir ; il souligne l'importance de la mémoire collective , même si elle est impuissante parfois à éviter le renouvellement de la haine et de l'horreur.
Il est aussi émouvant par le témoignage sincère d'une intimité dans un lieu chargé d'Histoire, propice à la réflexion et à la confidence.
Et de plus, c'est un bel hommage à la littérature.
A lire absolument!

"Devant l'impossibilité de parler, reste l'écrit, qui permet e se tenir en retrait u bruit du monde pour consigner ce qui ne doit pas être oublié."
" Nous sommes les enfants des romans que nous avons aimés, ils se déposent au cruex de nos peines, de nos manques, ils contiennent tout ce qui se dérobe à nous, qui passe sans qu'on ait pu le comprendre, nous sommes faits d'histoires qi ne nous appartiennent pas, elles nous irriguent et nous hantent."