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Le blog de Ritournelle

Perspective(s) - Laurent Binet

Ritournelle

Laurent Binet s'oriente dans ses romans vers des thèmes très variés. Avec Perspective(s), on est dans la Florence de la fin de la Renaissance , une période de turbulences à tous les niveaux.
Le peintre Jacopo Pontormo meurt en 1557. L'écrivain envisage ce décès comme un assassinat. Mais qui est le meurtrier? On se retrouve donc avec une intrigue policière dans le contexte historique de l'époque, et  l'originalité du roman réside dans sa forme épistolaire qui fait communiquer une vingtaine de personnages de tous les milieux. L'intérêt de ces correspondances est double : d'une part, permettre au lecteur de se mettre dans la position de l'enquêteur et d'autre part, pouvoir envisager différents lieux de résidence des personnages. D'où le titre du livre, qui fait référence à la perspective en tant qu'invention artistique, et aussi en tant qu'opinion de chacun des protagonistes.
176 lettres sont échangées entre les grands du moment . En premier lieu, les peintres , qui peuvent être soupçonnés de vengeance, vu que Pontormo était en train de réaliser, depuis onze ans, des fresques pour la chapelle San Lorenzo de Florence, dont il voulait faire "la rivale de la chapelle Sixtine". Et autre élément mystérieux : il semble que l'artiste ait retouché ces fresques peu avant sa mort. Mais est-ce vraiment lui? Parmi ces suspects, il faut citer Michel-Ange, Benvenuto Cellini, Agnolo Bronzino. Quant à Vasari, également peintre, mais dont le talent est inférieur aux précédents, il sait observer, connaît tout de la vie de ses collègues, et il est à ce jour le premier historien d'art de l'époque. C'est l'enquêteur idéal désigné par Cosimo de Médicis, le duc de Florence. Les artistes de la fin de la Renaissance veulent se renouveler après la perfection de la perspective, ils déforment les corps, s'éloignent des canons de l'Antiquité, pour inventer le maniérisme, dont Michel-Ange et Pontormo sont les représentants.
Vasari contacte Michel-Ange à Rome pour tenter de trouver des indices qui seraient la signature du meurtrier, mais les suspects sont nombreux. Outre les peintres, il y a les broyeurs de couleurs, celui de Pontormo, Marco Moro, considéré comme le premier syndicaliste réclamant le droit de réunion dans cette oligarchie dirigée par des patrons,  des soeurs dont l'une, Plautilla Nelli, est peintre, et il y a bien sûr les grandes figures politiques du moment : Cosimo de Médicis , qui a mandaté  Pontormo pour réaliser les fresques, est inquiété par sa cousine Catherine, reine de France, dont l'alliance avec le républicain Piero Strozzi lui fait craindre une conspiration. D'autre part, le nouveau pape Paul IV, inflexible réformateur, ne supporte pas les corps nus des peintures de Pontormo et des autres homosexuels, "dont l'âme doit rôtir en enfer".
Laurent Binet s'amuse à brouiller les pistes entre tous ces suspects dont le nombre élevé rend parfois difficiles à suivre, mais le lecteur s'amuse lui aussi , s'interroge, tout en apprenant beaucoup d'une époque traversée par des questionnements esthétiques, par des luttes de pouvoir, et par l'émergence de luttes sociales.
Les femmes sont aussi bien présentes , par le rôle qu'elles jouent dans la société : Catherine de Médicis est une femme ambitieuse, froide , dont les conseils à sa jeune nièce Maria, destinée à épouser le fils du duc de Ferrare contre sa volonté, font penser à ceux de Madame de Merteuil vis à vis de Cécile de Volanges dans les Liaisons dangereuses. Soeur Plautilla Nelli est une artiste reconnue.
Autant de raisons pour apprécier la lecture de ce roman original, intéressant et divertissant.

"L'artiste est un prophète parce que, plus que les autres, il a l'idée de Dieu, qui est précisément l'infini, cette chose impensable, inconcevable. Et pourtant...Impensable, oui, mais pas irreprésentable. C'est la perspective qui permet de voir l'infini, de le comprendre, de le sentir."

"Un tableau n'est pas seulement, comme le pensait Alberti, une fenêtre à travers laquelle nous regardons une section du monde visible. Ou bien peut-être n'est-il que cela, en effet, mais alors n'a-t-on pas déjà là un miracle suffisant pour ttester son essence divine? Nous sommes les fenêtres de Dieu. Voilà ce que nous sommes."

 

 

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Commentaires
C
Voilà un livre bien intéressant !
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R
Oui, parfois un peu difficile à suivre vu le nombre de personnages, mais on apprend beaucoup sur l'atmosphère de l'époque, tant au niveau historique qu'artistique !