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Le blog de Ritournelle

Le village de l'allemand - Boualem Sansal

Ritournelle

Détenu par les autorités algériennes depuis novembre 2024, l'écrivain franco-algérien paye par cette arrestation sa liberté de penser et de critiquer le pouvoir algérien, en même temps qu'il est l'otage d'un pays qui est en guerre contre la France depuis longtemps.
Dans ce livre paru en 2008, et qui a reçu plusieurs prix, figurent déjà des propos que le régime algérien considère comme une menace.
C'est un roman à deux voix, celles de deux frères, Rachel et Malrich, nés d'une mère algérienne et d'un père nazi arrivé au village d'Aïn Deb, en ayant quitté l'Allemagne pour former les membres du FLN, après avoir parcouru l'Egypte et la Turquie .
Elevés en France par leur oncle pour avoir un avenir plus sûr qu'en Algérie, ils apprennent la mort de leurs parents suite à l' attentat du GIA le 24 avril 1994 commis pour venger le passé de leur père qu'ils découvrent à l'occasion. Cet événement les ébranle tous deux, être fils de nazi est une révélation qui n'est pas sans conséquences.
Chaque frère exprime son incompréhension et sa douleur dans un journal qui traduit leurs personnalités bien différentes.
Rachel, l'aîné, a fait des études, il a une situation brillante. A l'annonce de ce drame, il quitte son travail pour essayer de comprendre la vraie nature de son père, s'assimiler aux victimes du nazisme qui ont perdu la vie tout autant que la dignité, mais en même temps il a aimé ce père, voudrait le pardonner puisqu'il était lui-même sous les ordres des autorités nazies. En parcourant l'Egypte et la Turquie, pays par lesquels Hans Schiller est passé pour rejoindre l'Algérie, il se rend compte qu'ils sont la proie d'une autre violence, celle des islamistes, mais il ne s'y arrête pas.
Se considérant comme une victime du nazisme, il se suicide en se gazant.
Malrich a un tout autre cheminement. Toujours resté dans sa banlieue, il côtoie régulièrement les islamistes, c'est un révolté ascolaire qui s'exprime comme il peut dans son journal. Pour lui, l'origine de la violence est dans les influences de l'enfance et il n'hésite pas à faire le parallèle entre nazisme et islamisme.
Il tente se survivre au passé de son père et à la mort de son frère, prend conscience de l'importance de l'éducation, lit, se documente, progresse, ce que son journal révèle dans son style qui évolue au fil du temps. Cependant, tout en réalisant ce qui détruit l'homme, il garde toujours un fond de révolte, est toujours en état de "crise permanente".
Ce roman bouleversant, tiré d'une histoire vraie, porté par une écriture magnifique, qui aborde la mémoire de la shoah par le biais de la transmission, nous rappelle que la liberté de penser est loin d'être gagnée dans les démocraties, qu'il faut un grand courage et une détermination sans faille pour défendre ses idées, et on ne peut que féliciter l'écrivain d'avoir envisagé ce livre comme un roman d'apprentissage pour les générations futures, et prémonitoire quant à son histoire personnelle :
"... il y a des parallèles dangereux qui pourraient me valoir des ennuis. Je m'en fiche, ce que j'avais à dire, je l'ai dit, point, et je signe : Malrich Schiller".

 

"Savoir ne suffit pas. Comprendre ne suffit pas. La volonté ne suffit pas. Il nous manque une chose que les islamistes ont en excès : la détermination. Nous sommes comme les déportés d'antan pris dans la machination, englués dans la peur, fascinés par le Mal, nous attendons avec le secret espoir que la docilité nous sauvera."

 

 

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