Le roitelet - Jean-François Beauchemin
/image%2F0557250%2F20250305%2Fob_488da0_81xkabun-1l-sy522.jpg)
Prix des libraires 2024, ce livre de l'auteur québécois aborde le thème de la différence.
Le narrateur, que l'on suppose être l'auteur, a un frère de deux ans son cadet, qu'il voit régulièrement depuis un épisode de leur adolescence où un événement a fait basculer ce frère dans une grande fragilité psychique. Alors qu'il participe au vêlage d'une vache, ce traumatisme va déclencher en lui une blessure, un éloignement de la réalité associé à une perte d'identité. Il ne sait plus qui il est, ne comprend pas le monde, ne contrôle plus ses émotions, devient prisonnier de ses peurs. D'où son attitude de repli , de solitude, entraînant une certaine souffrance induite par des moments de lucidité où il réalise, entre autre, qu'il n'a pas de lien social :
"Pourquoi n'ai-je aucun ami?" demande-t-il à son frère...
"Regarde un peu ces lucioles. Elles clignotent dans la nuit pour se reconnaître entre elles. Mais moi, je ne suis la lampe de personne. »
La paranoïa qui s'empare de lui fait qu'il refuse de prendre ses médicaments, reste prostré tant que la peur ne le quitte pas. Ce comportement suppose beaucoup de patience et de générosité de la part de son aîné qui n'a jamais cessé de s'occuper de lui, tout en étant marié.
Jean-François Beauchemin souligne la beauté du lien de ces deux frères; leur communication est faite de beaucoup de tendresse, de signes, de gestes, de conversations mais aussi de silences "remplis d'amour et de compréhension", qui "parlent et trouvent les mots justes". L'intérêt de son livre est de réussir à nous faire éprouver ce que peut ressentir une personne atteinte de troubles psychiques, sa difficulté à vivre dans un monde effrayant, avec des idées confuses, mais avec aussi des réparties pleines de bon sens, tout comme il nous met à la place de celui qui accompagne le malade avec patience et générosité.
Et la vie à la campagne permet d'établir une complicité, de partager la beauté de la nature, les plaisirs d'une vie simple, la tranquillité, les promenades en forêt, la proximité avec les animaux, particulièrement celle des oiseaux, d'où la comparaison de ce frère avec le roitelet, cet oiseau fragile avec une tache jaune sur la tête : c'est comme si la lumière de son esprit s'échappait par le haut de sa tête...
Avec une plume poétique et sensible qui évoque celle de Christian Bobin, l'auteur nous entraîne dans son univers contrasté fait de joie et de peine, de peur, d'inquiétude et d'espoir.
Un livre profondément humain et bouleversant, composé de petits chapitres qui distillent beaucoup d'émotion.
A lire absolument!
"Au début, ça ressemblait à de la mélancolie. Puis c'est devenu plus sérieux, et mon frère a commencé à se comporter bizarrement, comme si sa personnalité peu à peu se disloquait. Ça n'était pas la simple érosion, normale, que le passage du temps finit toujours par imposer au caractère et aux habitudes. C'était une authentique dislocation en ce sens que son esprit paraissait séparer les uns des autres ses propres éléments autrefois bien emboîtés."
"Ça n'est pas que l'âme de mon frère soit spectaculaire. Mais ce qui me plaît, c'est qu'elle cherche un passage vers le jour. Les oiseaux aussi font cela. Dans les derniers instants de la nuit, à l'heure du dur combat entre l'ombre et la lumière, ils s'envolent des nids et partent à la rencontre du soleil, comme pour en précipiter la venue."