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Le blog de Ritournelle

Le serment des barbares - Boualem Sansal

Ritournelle

Soutenir Boualem Sansal, toujours incarcéré en Algérie depuis la mi-novembre, accusé d’« atteinte à l’intégrité du territoire national », c'est aussi lire ses livres, la seule chose qui soit à la portée de chacun de nous. Après "Le village de l'allemand", j'ai eu envie de découvrir ce premier roman écrit en 1999, pendant la "décennie noire", alors qu'il est haut fonctionnaire au ministère de l'industrie.
La fiction étant pour lui plus efficace qu'un essai, car il atteint les profondeurs de la personne, l'écrivain a imaginé une intrigue policière pour livrer son ressenti devant une situation qu'il estime désastreuse.
Le personnage principal est un vieux flic, Larbi, en poste à Rouiba, dans la banlieue d’Alger, une ville au passé viticole florissant, transformée par la suite en complexe industriel. Très affecté par le décès de sa femme, Larbi décide de se remettre au travail.  C'est alors que deux hommes décèdent en même temps , le riche Si Moh, commerçant corrompu, et Abdallah Bakour, un ouvrier agricole parti en France rejoindre ses maîtres pieds-noirs, puis revenu au pays pour y finir sa vie. Les conditions sociales des deux hommes étant bien éloignées, les enquêtes ne sont pas confiées aux mêmes policiers. La première concernant Si Moh, qui ne doit pas faire de vagues, est attribuée à certains policiers, Larbi hérite de la seconde. Selon toute vraisemblance, ces deux meurtres seraient perpétrés par les islamistes, mais Larbi a l’intuition qu’il n’en est rien. Il devine que ces crimes sont liés. En avançant dans son enquête, le vieux policier découvre des manipulations, des compromissions, entre les acteurs du pouvoir et tous les profiteurs, entre agitateurs et islamistes, mafieux et résistants du maquis .
C’est l’occasion pour l’auteur de déverser sa colère par rapport à l’impasse dans laquelle se trouve son pays, impasse qu'il justifie par le point de départ de la guerre civile qui sévit dans les années 90 , inéluctable à son avis, car la culture de ce pays ainsi que le pouvoir, ont créé un terrain propice à l’arrivée des islamistes. Prise entre corruption et intégrisme, l’Algérie n’a pas su mener à bien tous les espoirs que laissait entrevoir son indépendance en 1962. Pauvreté, corruption, analphabétisme, brutalité , peur, sont le lot quotidien de la population .
Chaque chapitre entame un aspect de ce réquisitoire, contre des secteurs différents : le bâtiment, l’hôpital, la police, la justice, la religion, la condition féminine…
Malgré tout ce qu'il voit , ce qu'il entend et les mises en garde de sa hiérarchie, Larbi persiste dans son enquête jusqu'à découvrir des allées et venues bizarres dans le cimetière chrétien de Rouiba...
Mais il est évident que cette énigme policière n'est qu'un prétexte pour que Boualem Sansal exprime dans un langage riche, insidieux et parfois confus, tout l'amour qu'il porte à son pays autant que l'immense désespoir qu'il éprouve en constatant le chaos qui y règne.
Le roman est un cri de colère, d'indignation, une longue plainte au style haché qui rend sa lecture moins accessible que celle du "Village de l'allemand", cependant elle est un témoignage socio-historique fort sur un pays qui ne s'est pas encore trouvé.

"L'État est une vue de l'esprit, il n'y a que des clans en guerre. Est-ce ainsi que vivent les mafias? Non, ces organisations sont en harmonie avec lui. Un équilibre s'installe que personne ne veut rompre; le truand aspire à l'honorabilité et le citoyen aime à s'encanailler pour résister à la grisaille des jours."

"Du haut de ses minarets Rouiba appelle à la dévotion comme à la guerre sainte. Elle ne prie plus que pour clamer son islamité recouvrée et insuffler la ferveur guerrière à ses milices. Son boucan a des accents qui puent la mort absurde des guerres de religion."

"L'État n'a rien fait pour résoudre la crise qui a engendré le terrorisme. Il l'a lui-même machinée, ô gens désarmants de crédulité! Quelle naïveté que d'espérer de lui qu'il démonte ses pièges avant qu'on y tombe! Il veut notre mort! Attendez-vous du chitane une noble action? Écoutez, il ne fait rien pour détruire l'administration, sans parler des rats et des va-nu-pieds qui nous disputent la place. Bon, alors dites-nous s'il vous plaît, ce qu'il fait pour sasser l'école et la justice, charançonnées par ces immondes hypocrites? Va-t-il s'occuper de ns graçons, leur donner un toit, un métier, un travail, un avenir pour qu'on puisse enfin les marier? Va-t-il se décider à mettre le holà à la hogra, embastiller les walis, fusiller les gradés, arranger les choses, quoi!
Broutilles que cela! J'en ai les lèvres écorchées..."

 

 

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Commentaires
C
Voila une excellente suggestion. Je vais le lire. Merci Françoise de cette belle idée
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R
J'ai préféré Le village de l'allemand, de lecture plus facile, mais tu peux aussi tenter celui-ci.