Vers les îles éparses - Olivier Rolin
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Ce titre porte en lui le voyage, un voyage proposé à Olivier Rolin en remerciement de la préface qu'il a écrite pour L'Histoire de la guerre du Péloponèse de Thucydide, aux éditions de l'École de guerre.
Ces îles éparses se situent dans le canal du Mozambique et l'océan indien, ce sont des vestiges de l'époque coloniale qui ont été séparées de Madagascar en 1962 lors de son indépendance. Elles font l'objet de convoitise de la part de Madagascar, des Comores et de Maurice, ses proches voisines. Pourtant, à part la faune marine et les oiseaux, elles ne recèlent pas d'autres richesses. Elles servent de bases militaires et de terrains de recherche pour les scientifiques qui doivent être ravitaillés toutes les quatre semaines.
C'est ainsi que le grand voyageur qu'est Olivier Rolin a embarqué en 2022 sur le Champlain, un BSOAM (bâtiment de soutien et d'assistance outre-mer) vers Europa, Juan de Nova, Glorieuses, Tromelin et Bassas da India. Un an et demi plus tard, il rassemble ses écrits agrémentés de croquis dans ce court ouvrage.
Avec cette plume toujours élégante et drôle, il confie le ressenti de celui qui est en parfait décalage avec le reste de l'équipage. A 75 ans, il se retrouve au milieu de marins bien plus jeunes, dont le plus âgé n'a pas atteint 40 ans. "A leurs yeux, je suis si vermoulu que je risque l'effritement au moindre choc." De plus, leurs origines sociales très différentes : il sont fils d'ouvriers ou de familles bourgeoises, leur vocabulaire, tout comme leurs centres d'intérêt les éloignent d'un écrivain, seul civil à bord, étranger à cette vie de militaire que la répétitivité et la rigueur laissent perplexe.
S'il ne peut y participer, il passe son temps à observer, prendre des notes, esquisser des portraits de l'équipage, lire les livres qu'il a emportés (Hugo, Kessel, Chateaubriand, Houellebecq...) ainsi que ceux de la bibliothèque du Champlain.
Et puis les escales sont des parenthèses rompant le programme habituel. Elles sont l'occasion de s'émerveiller devant la faune et la flore, la poésie, la couleur, la lumière des paysages grandioses, et pour en exprimer la beauté, les nuances, notre vocabulaire est insuffisant :
"Les mots, on a beau les aimer, essayer de les connaître, en inventer même, parfois, il arrive qu'on se désespère de leur impuissance à dire les choses. Comment rendre la couleur irradiante de la mer au bord de la plage ? […] Bleu, ça ne va pas, évidemment. Il faudrait dire la transparence qui fait que la blancheur éblouissante de la plage se prolonge, se devine sous l'eau peu profonde d'abord, se disperse en paillettes, en étincelles, il faudrait dire l'infinie versatilité de la couleur qui fait que le bleu presque blanc de la lèvre qui lèche le sable se change insensiblement en bleu profond, presque violet, de pétale d'iris."
Quant à la faune, elle surprend parfois par sa démesure, celle des araignées néphiles, qui ravivent la phobie arachnophobe de l'enfance, jamais disparue, ou par son étrangeté, avec les poissons-volants, les murènes noires, tortues marines, crustacés biscornus. Un tel foisonnement d'espèces différentes sur ces minuscules îles suscite étonnement et émerveillement.
La curiosité qui anime Olivier Rolin est propice à tous les questionnements sur son environnement humain, géographique, ainsi que sur lui-même, cet être lucide et désenchanté qui sait pratiquer l'auto-dérision : "Jamais encore […] je n'ai éprouvé à ce point que je faisais partie d'un autre monde. Habitué qu'on est à soi-même et à son apparence, on ne s'est pas vu se transformer en cet être de papier mâché en qui les autres, qui ne vous connaissent pas, identifient immédiatement un semi-vivant. […] Parfois je m'en amuse, mais pas toujours.❞
Un texte court, mais dense, mélancolique et beau.