Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog de Ritournelle

Bien-être - Nathan Hill

Ritournelle

Ce livre a reçu le Grand prix de littérature américaine 2024.
Étonnant roman qui prend comme prétexte une histoire d'amour pour nous parler de la société contemporaine et de notre identité.
L'histoire se passe à Chicago, au début des années 90 où deux jeunes étudiants, Jack Baker et Elizabeth Augustine vivent dans des immeubles très proches, séparés par une ruelle. Ils s'observent en cachette, surveillent leurs faits et gestes afin de mieux imaginer leurs personnalités, se croisent dans la rue sans se saluer. Un jour, ils se retrouvent dans un bar, entament une longue conversation dans laquelle ils se livrent sur leur passé difficile marqué par la violence, leur quotidien et leurs espoirs. Ces points communs les rapprochent : c'est le début d'une grande histoire d'amour.
Jack est issu d'une famille de fermiers dans les grandes plaines du Kansas . Sa sœur Evelyn lui a appris la beauté de la nature, la lumière de l'aurore qu'elle saisissait avec son pinceau, tous deux assis  dans les herbes fraîches que le vent faisait onduler.
Elizabeth vient d'un milieu aisé, obsédé par l'argent et peu humain.
Tous deux ont fui le milieu familial toxique pour se réinventer, lui dans l'art en créant des photographies sans appareil, à partir de réactions chimiques d'acides sur du papier, elle s'intéresse au comportement humain, "à la condition humaine dans son ensemble", avec des cours de psychologie, d'économie, de neurosciences.
Ils finissent par se marier et ont un enfant, Toby.
20 ans après leur rencontre, leurs liens se distendent. Surviennent alors un certain nombre de questions concernant cette crise qui survient au moment où ils s'embourgeoisent en décidant d'acheter un appartement et où leur fils pose certains problèmes : est-elle due à leur passé? au fait qu'ils ont évolué? Se sont-ils trompés de partenaire?
Avec un récit non chronologique Nathan Hill décortique habilement le destin de ces deux personnages qui avancent en même temps que la société, avec l'influence délétère des réseaux sociaux, d' Internet qui s'est transformé en un espace de commerce, de narcissisme et de théories complotistes. Ainsi donc, le passé et le présent s'entremêlent, l'être humain subit des influences multiples difficiles à identifier, il vit entre information et désinformation,  a du mal à savoir qui il est vraiment.
A l'heure où tout est planifié, optimisé, connecté, comment définir le bien-être, le bonheur, l'amour, comment parvenir à se connaître dans un monde où les valeurs sont relativisées? Qu'est-ce qui nous définit? Un amalgame entre les traumas de l'enfance, l'éducation, l'influence de l'environnement, de la technologie, du pouvoir du placebo, les histoires que l'on se raconte?
Est-ce que la vie est une somme de fictions permanentes?

"Lorsqu’un traitement fonctionnait seulement parce qu’il racontait une histoire convaincante, l’establishment médical le rejetait, lui préférant molécules et procédures à répliquer. Mais une histoire pouvait avoir autant d’effet qu’un cachet. Quand on se rendait au théâtre, par exemple, et qu’on y voyait une pièce si brillante qu’elle nous arrachait des larmes, c’était un placebo : une histoire qui modifiait la chimie de notre cerveau, face à laquelle seul un crétin fini demanderait : Pourquoi tu pleures ? ce n’est même pas vrai. La clinique du Bien-Être allait désormais créer des expériences fictives du même ordre, qui produiraient des réactions physiques et psychologiques réelles. Ils feraient, en quelque sorte, du théâtre biologique. »
Entre roman et essai, ce livre intelligent ouvre des perspectives insoupçonnées grâce à une capacité d'analyse incroyable de l'auteur, traite brillamment de la psyché humaine, du bien précieux mais complexe que sont les liens humains, renvoie le lecteur à ses propres interrogations.
Romantique, lucide et profond!

"Avez-vous vu ces photos que les gens prennent de la tour penchée de Pise ? Celles où ils donnent l’impression de l’empêcher de tomber ?
— Oui.
— Cette illusion ne fonctionne pour l’observateur que sous un angle bien précis. Il suffit d’un petit pas vers la gauche ou vers la droite pour qu’elle ne tienne plus. Et je crois que c’est ce que font les gens la plupart du temps, dans la vie. Ils trouvent un point de vue sur le monde qui correspond au leur, un endroit douillet, et s’y plantent pour ne plus en bouger. Parce que s’ils bougeaient, leurs certitudes et la sécurité qu’ils ressentent se désagrégeraient, une perspective effrayante et douloureuse. Les gens préfèrent donc leurs illusions – que le monde est une simulation, que l’acupuncture a un effet, que les cures détoxifiantes fonctionnent, ou qu’Ebola a été créé par le gouvernement.

"Elizabeth avait écouté Kate lui expliquer qu'en vérité le problème des couples modernes était qu'ils voulaient trop être ensemble, trop partager, qu'ils avaient cette envie idiote de fusionner, alors que pour qu'un mariage survive aux décennies, il n'y avait qu'une solution : y injecter du mystère, de la distance, de l'émancipation."
"La stabilité ne marche que quand on accepte tous de prendre soin les uns des autres sur la durée. L'époque est bien plus au vite-fait-bien-fait-et-basta.L'ère du swipe vers la gauche, tu vois ce que je veux dire? La stabilité n'affiche pas un bon retour sur investissement ces temps-ci. La valeur essentielle, c'est la flexibilité et une certaine audace individualiste.
"

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commentaires