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Le blog de Ritournelle

Être à sa place - Claire Marin

Ritournelle

La philosophe Claire Marin interroge avec cet essai un concept éternel, celui de trouver sa juste place dans notre environnement familial, professionnel ou affectif. Que répondre à cette question récurrente : Suis-je à la bonne place? Et d'abord, que signifie être à sa place? Faut-il se confronter à ce que nous aimerions être et qui nous est interdit en fonction de notre genre, de nos origines sociales, de notre âge?
L'idée de la bonne place est souvent celle qui est forgée par les représentations sociales, mais le concept d'une place pour soi évolue. Il est en effet sécurisant d'avoir une place, mais ce sentiment confortable ne dure pas, car on a aussi besoin d'instabilité pour être stimulé. Les aléas de la vie engendrent la peur de voir se transformer cette place, de quitter un confort pour une situation incertaine. Cependant le mouvement n'est pas toujours nécessaire au changement, Virginia Woolf le prouve dans son essai "Un lieu à soi"où elle défend l'idée d'avoir un espace pour soi, en toute liberté et sécurité, qui garantisse aussi un temps pour soi. Cela implique la peur de se sentir illégitime, de se soustraire à l'autre afin de se penser soi, car on a besoin de la reconnaissance des autres.
Comment chercher sa place? Il y a souvent des schémas tout tracés que l'on se sent contraints de suivre, mais on peut y apporter de l'originalité en fonction de sa personnalité : il y a par exemple tant de façons d'enseigner ou d'être parent.
Chercher sa place peut induire de la violence, celle qui oblige à rompre des liens, à trahir et se trahir soi-même. Mais est-ce qu'on quitte vraiment un lieu? On conserve en mémoire les premières places de la vie parce qu'elles restent inscrites dans la mémoire corporelle, et liées aux affects. Pour Annie Ernaux, les joies de son enfance dans un milieu modeste restent toujours au fil des années la représentation de la joie et des plaisirs. Ce qui explique que lorsqu'on change de milieu social, on puisse se trouver en discordance avec les joies du milieu que l'on a atteint. Nicolas Mathieu y fait référence dans son roman Connemara avec le personnage d'Hélène qui a revient dans sa région natale après avoir tout fait pour la quitter.
Existe-t-il une place définitive? Il s'agit davantage de trouver un équilibre, une dynamique, car on est soumis à des injonctions multiples, psychologiques ou affectives.
Changer d'espace social amène à comprendre des modes de vie différents; choisir sa place, c'est choisir de désobéir à un système, de remettre en question ce que la société ou la famille ont choisi pour nous. La littérature offre de nombreuses possibilités de changer d'identité.
Être à sa place ne serait donc pas un état définitif mais une série d'expériences diverses visant à se nourrir, s'enrichir, à conserver l'envie de mouvement pour ne pas se scléroser. La guerre, la maladie, les diverses crises rencontrées auxquelles il faut faire face, tout ce qui implique d'être déstabilisé, permet de découvrir en nous des ressources insoupçonnées.
Être à sa place, c'est agir contre soi en sachant ce que l'on perd.
Entre désir personnel et impératif social, trouver sa place exige de renoncer à la passivité, de résister à l'immobilisme, à la satisfaction d'être celui qu'on est, pour toujours rechercher de nouvelles façons d'être.


"Si on se laisse prendre par la passion, c'est qu'elle nous délivre d'une identité dans laquelle on s'était laissé enfermer par contrainte, habitude ou résignation, ainsi que de la frustration de n'être pas vraiment soi-même."


"Le "vrai lieu" est aussi à entendre comme celui de la réconciliation avec soi. Pour Pierre Bourdieu, l'écriture de son premier texte, "Célibat et culture paysanne", a joué ce rôle. L'expérience du transclasse a joué de rôle...L'écriture lui apparaît comme la possibilité de revenir à une part de lui-même, à ses amis d'enfance, à ses parents avec respect...
C"est tout une partie de moi-même qui m'est rendue, celle-la même par laquelle je tenais à eux et qui m'éloignait d'eux, parce que je ne pouvais la nier en moi qu'en les reniant, dans la honte d'eux et de moi-même. Le retour aux origines s'accompagne d'un retour, mais contrôlé du refoulé."

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