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Le blog de Ritournelle

L'art de la joie - Goliarda Sapienza

Ritournelle

Goliarda Sapienza a écrit L'art de la joie à Rome, de 1967 à 1976 ; ce livre a été refusé par tous les éditeurs italiens pendant 20 ans, jusqu'à ce que le dernier compagnon de Goliarda, Angelo Maria Pellegrino, le fasse paraître en 1998 dans une petite maison d'édition,  deux ans après la mort de l'écrivaine, . Grâce à la traductrice Nathalie Castagné, le roman connaît le succès en France et l'Italie le reconnaît maintenant comme l'un des textes majeurs de la littérature d'aujourd'hui. Pourquoi l'Italie a-t-elle attendu si longtemps pour faire sienne cette oeuvre? Certainement parce que la morale de l'époque a rejeté un contenu jugé subversif.
Modesta est le personnage principal du roman, le double de Goliarda. Armée d'une force incroyable qui lui fait franchir les obstacles, d'abord celui de son milieu d'origine pauvre et sordide auprès d'un beau-père incestueux, d'une mère taiseuse et d' une soeur trisomique pour connaître celui, fourbe et pervers d'une institution de religieuses, qu'elle n'aura de cesse de quitter pour accéder à un autre monde, celui de la noblesse, c'est à dire un autre confort, ainsi que la culture. C'est pour elle le lieu de toutes les initiations: le sexe, l'amitié, l'amour, l'engagement politique. Elle découvre la jouissance par l'intermédiaire du garde-chasse dont elle aura un fils, tout en vivant une amitié amoureuse avec la fille de la maison, milite contre le fascisme ambiant avec des amis communistes, évolue et se transforme sans cesse au gré des événements; elle est sans concession avec elle-même comme avec les autres ; un seul mot d'ordre la guide : liberté. Modesta est un personnage riche, dense, souvent imprévisible mais toujours animé par une volonté farouche d'indépendance, de lutte contre les autres et contre soi:

En un éclair, je compris ce qu'était ce qu'on appelle le destin : une volonté inconsciente de poursuivre ce que pendant des années on nous a insinué, imposé, répété être le seul juste chemin à suivre. »

Elle refuse en bloc ce à quoi le destin la préparait : être une femme pauvre, soumise, ou une religieuse. Pas de conformisme, sinon la lutte pour s'affirmer, quel que soit le prix à payer,celui de la douleur ou de la déception, rester lucide pour être capable d'analyser, savoir remettre en question les choses essentielles :

"Les sens suivent l'intelligence et inversement, il me semble qu'on tombe amoureux parce qu'avec le temps, on se lasse de soi-même et on veut entrer en un autre inconnu pour le connaître, le faire sien, comme un livre, un paysage. Et puis, quand on l'a absorbé, qu'on s'est nourri de lui jusqu'à ce qu'il soit devenu une part de nous-mêmes, on recommence à s'ennuyer."

Autour de Modesta gravitent des personnages de milieux sociaux et niveaux culturels différents : un médecin communiste, une anarchiste, un paysan, une intellectuelle; tous représentent la société avec ses idéaux, ses traditions. Modesta analyse tout en veillant bien à fuir toute aliénation ; la vie est un long apprentissage qui doit faire conjuguer rêve et clairvoyance:

"Beaucoup de mots mentaient. Ils mentaient presque tous. Voilà ce que je devais faire : étudier les mots exactement comme on étudie las plantes, les animaux… Et puis, les nettoyer de la moisissure, les délivrer des incrustations des siècles de tradition, en inventer de nouveaux, et surtout écarter pour ne plus m'en servir, ceux que l'usage quotidien emploie avec le plus de fréquence, les plus pourris, comme : sublime, devoir, tradition, abnégation, humilité, âme, pudeur, coeur, héroïsme, sentiment, piété, sacrifice, résignation. »

Il y aurait beaucoup à dire sur ce roman foisonnant de 600 pages; c'est avant tout un livre politique, Goliarda étant issue d'une famille de militants siciliens anarchistes, socialistes qui se sont engagés jusqu'à connaître la prison pour défendre leur idéal de justice. C'est aussi un roman anti-clérical, contre toutes les églises et leur assujettissement, le communisme étant considéré comme tel par l'écrivaine. Et c'est surtout le roman de la liberté, de la volonté, du courage et de l'amour au sens large. Un livre écrit en période post soixante huitarde pour aider les femmes à assumer leur sexualité sans culpabiliser, les encourager, ainsi que les hommes, à s'affranchir. Grande fresque baroque au style surprenant, qui ne sert pas toujours la force des idées par l'usage quasi permanent du dialogue. Mais, malgré ce bémol, on termine la lecture avec le sentiment d'en avoir gardé le meilleur : la plus belle des philosophies de vie.

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