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Le blog de Ritournelle

East village blues - Chantal Thomas

Ritournelle

Chantal Thomas est spécialiste du 18 e. Ses ouvrages antérieurs sur le Marquis de Sade, Casanova ou Marie-Antoinette, son allure sage, son ton posé ne laissent pas supposer la soif d'aventure qui a guidé sa jeunesse. Elle est depuis toujours une grande voyageuse qui se désole de " l'écart impossible à combler entre l'immensité du monde, son inépuisable richesse, et l'infime portion qu'elle aura réussi à en approcher."
A peine sortie du lycée, elle se lance dans un grand voyage à travers le monde avec une amie, dont la dernière étape est New-York. Une escale rapide, mais qui éveille déjà une fascination pour cette ville de la démesure, ainsi qu'une forme de bien-être qu'elle gardera en mémoire.
Et c'est quelques années plus tard, en 1976, après sa soutenance de thèse sur Sade, que l'écrivaine replonge dans l'univers new-yorkais, pour un séjour mémorable. Elle a un point de chute chez une certaine Jodie, puis un changement d"hébergement la conduit dans "l'appartement chemin de fer" de Cynthia, situé dans l'East village. C'est le quartier des artistes, des écrivains, celui des immigrés. Il y règne une effervescence, un bouillonnement culturel avec la Beat génération et ses célèbres représentants, Kerouac, Ginsberg, Burroughs. L'époque est celle de tous les possibles, on vit intensément dans les bars, les boîtes, surtout la nuit . On croise des personnages excentriques , des célébrités comme Andy Warhol, Lou Reed ou le Velvet Underground. On passe d'une party à l'autre, le Chelsea Hôtel est le lieu incontournable où l'on trouve "des types en costume de soirée, des filles dans leurs déchirures punks, des gens en robe de chambre, un peintre qui expose et veut à tout prix fourguer une de ses toiles..."
A côté de ces fêtards privilégiés, il y a les marginaux qui dorment dans la rue dans des cabanes en carton et se disent poètes. Une ambiance romanesque, l'ivresse des sens, la quête de toutes les expériences, autant de quoi alimenter la certitude de pouvoir se lancer dans l'écriture : à New-York, écrire est à la portée de tous, contrairement à Paris où l'on doute longtemps de sa légitimité à produire des textes. Pour Chantal Thomas, ce séjour marquera le début de sa carrière d'écrivaine.
En 2017, elle repart sur les traces de ses souvenirs, faisant de ce voyage une « méditation sur le temps perdu et sur la manière dont on est constitué par ce temps perdu ».
Les choses ont bien changé : les bars underground ont disparu, ils sont remplacés par des boutiques, les rares immeubles de l'époque portent encore quelques graffitis, photographiés dans le livre par Allan S.Weiss, la population n'est plus la même, c'est le règne de l'argent :
« Il y a quelque chose de pourri dans l'empire de » la Grande Pomme, il ne reste désormais que des fantômes et des traces presque disparues d'une époque à jamais perdue…".

Avec un style fluide, des phrases empreintes de nostalgie et de poésie, Chantal Thomas témoigne d'une époque révolue, libre, intense, de dépassement de soi, ouverte à toutes les audaces, animée par le souffle du désir et de l'aventure. Une époque essentielle puisque propice à la création.
Un récit évasion à déguster lentement , à conseiller particulièrement à ceux qui ont bien connu les seventies, à nulles autres pareilles...
"Je suis poète. Une déclaration que j'entendais sans arrêt; un aveu d'une sereine certitude, d'une gravité fatale, d'une portée diabolique, mais toujours proféré sur un ton d'évidence. Ils sont poètes, ça ne se discute pas. Et que ce fut dans les bars, sur Washington Square Park, dans ces appartements enfumés où je passais, bruissait quelque part le crépitement d'une machine à écrire, la mitraille d'un langage qui vous cueille au vol, vous surprend, puisqu'il est né de la rencontre entre la sensibilité inouïe du poète et le réel. Une convulsion de tous les sens, une déflagration de beauté, telle qu'il arrive que le poète, effrayé d'un pouvoir qui le met en communication avec des forces primitives, cesse d'écrire, comme s'il allait être lui-même calciné par les incendies de l'âme ue ses mots déclenchent. Il est l'instrument d'une magie dont les effets le dépassent. Et dans une société banale, prosaïque, une société à la moralité mesquine mais aux besoins matériels immenses, le poète, avec ses ressources de voyance et d'invocation et ce don étrange de voir en même temps qu'il les prononce la couleur des lettres, est condamné à une solitude extrême."

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