La panthère des neiges - Sylvain Tesson

Ritournelle

14 janv. 2020

Un livre de Sylvain Tesson est toujours la promesse d'un moment de grâce , une invitation à s'émerveiller de la nature qui le fascine, le nourrit, à savoir l'observer pour en tirer tous les bienfaits. Ce marcheur habitué au mouvement, à l'action, s'est pour une fois lancé le défi de l'immobilité en suivant le photographe Vincent Munier dans les montagnes tibétaines, à la découverte de cet animal de légende, la panthère des neiges," l'esprit de la montagne descendu en visite sur laTerre", qui "vêtu de fourrures, vit dans le cristal."
Pour mener à bien cette quête, la technique de l'affût est nécessaire. Elle exige immobilité et patience, dans le froid glacial , jusqu'à - 34°,entre 4 et 6000m d'altitude. Ne pas parler, ne pas fumer, apprendre à se dissimuler, pour espérer rencontrer la beauté. "La bande des quatre", comme il la nomme , se compose donc de l'écrivain, avec ses compagnons de voyage, Vincent Munier, sa compagne Marie, cinéaste animalière, et son assistant philosophe Léo, "à la pensée profonde, donc mutique"; tous sont prêts aux plus grands sacrifices pour apercevoir près des crêtes enneigées, des loups, des yacks, des vautours qui planent dans le ciel, mais surtout pour obtenir enfin la sublime récompense avec une première apparition de la panthère.

"Ce fut une apparition religieuse. Aujourd'hui, le souvenir de cette vision revêt un caractère sacré."
"Elle portait l'héraldique du paysage tibétain. Son pelage, marqueterie d'or et de bronze, appartenait au jour, à la nuit, au ciel et à la terre. Elle avait pris les crêtes, les névés, les ombres de la gorge et le cristal du ciel, l'automne des versants et les neiges éternelles, les épines des pentes et les buissons d'armoise, les secrets des orages et des nuées d'argent, l'or des steppes et le linceul des glaces, l'agonie des mouflons et le sang des chamois. Elle vivait sous la toison du monde. Elle était habillée de représentations. La panthère, esprit des neiges, s'était vêtue avec la Terre."
Cette merveilleuse apparition déclenche chez l'écrivain voyageur la fulgurance du souvenir de femmes aimées : sa mère, récemment décédée, et cette "fille des bois, princesse des sources et amie des bêtes" dont il s'est séparé.
L'émotion ressentie va de pair avec une inquiétude sur les dérives de ce monde qui a perdu le contact avec la nature, qui n'a pas su conserver l'extraordinaire musée qu'a été la Terre.
Avec une grande sincérité, Sylvain Tesson nous emmène dans cette parenthèse enchantée en nous faisant prendre conscience de l'urgence à retrouver une certaine humilité face à l'animal.
Son style si poétique dans les descriptions de paysages ou d'animaux, son humour toujours présent, ainsi que ses références culturelles, nous donnent à penser que le voyageur est bien devenu un écrivain , couronné à juste titre par le Prix Renaudot.
Un récit savoureux, émouvant, à lire absolument!

"Regarder une bête, c'était coller l'oeil à un judas magique. Derrière la porte, les arrière-mondes. Nul verbe pour les traduire, nul pinceau pour les peindre."

"Attendre était une prière. Quelque chose venait et si rien ne venait, c'était que nous n'avions pas su regarder."