L'axe du loup - Sylvain Tesson

Ce livre paru en 2004 est l’un des meilleurs de Sylvain Tesson ; pour qui n’a jamais lu ses récits de voyage, je conseillerais vivement celui-ci.
C’est en lisant à l’âge de 15 ans A marche forcée de Slavomir Rawicz que ce gourmand d’évasion a inoculé en lui le virus du voyage ; le récit de l’officier polonais condamné pendant la seconde guerre mondiale à 20 ans de travaux forcés seulement en raison de son identité, évadé au bout de 6 mois de l’enfer du goulag avec quelques camarades, raconte cette incroyable épopée de deux ans, de la Sibérie à l’Inde, sans vivres, sans cartes, sans armes, qui coûtera la vie à 4 d’entre eux. Cet itinéraire, c’est « l’axe du loup », qui se déplace du nord au sud, contrairement à la direction traditionnelle des mouvements humains dans cette région du monde.
Il n’était pas question pour Sylvain Tesson de reprendre à l’identique le parcours de Rawicz, mais de célébrer « l’esprit d’évasion » en se mesurant à toutes les difficultés endurées par ces hommes dans des conditions particulièrement éprouvantes; il effectue donc, de mai 2003 à janvier 2004, 6000 km à pied, à cheval , à vélo, « les meilleurs moyens pour mesurer l’immensité du monde », dit-il.
Des rives de la Léna au lac Baïkal, de la Mongolie au Tibet, pour parvenir en fin de parcours à Calcutta, l’écrivain nous livre des descriptions précises du milieu géographique, du relief, du climat, de la faune, de la flore, mais aussi des habitants, dont certains sont probablement des évadés du goulag. Il faut faire face au froid qui oblige à se réveiller toutes les deux heures pour alimenter le feu, à la faim, car les points d'approvisionnement sont rares, au danger des animaux sauvages qui rôdent, les ours en particulier, et aussi à quelques voyous qui le pourchassent.
Malgré tout, si la solitude est propice à l’émerveillement devant les paysages, elle incite aussi à des réflexions sur l’Histoire, sur la religion, sur le comportement humain, souvent teintées d’humour, ce dont ce grand voyageur ne se départit jamais.
Ce face à face avec lui-même est rompu par quelques visites : celle de son cousin, Nicolas Millet, de Thomas Goisque, tous deux venus le filmer à deux reprises, ou encore de Priscilla Telmon, aventurière qui marche sur les pas d’Alexandra David-Neel ; depuis Lhassa, leur lieu de rendez-vous, il entreprend en sa compagnie l’ascension de la chaîne himalayenne dont le froid est paralysant, pour parvenir au Bengale, après avoir traversé le Népal.
Courage et détermination sont les clés de cette aventure de 8 mois qui repousse toujours plus loin les limites physiques et morales de celui qui reste infiniment curieux des géographies et des êtres ; on souffre et on vibre avec lui . Sa plume sincère, légère et élégante nous instruit, nous entraîne loin d’un quotidien banal et sécure dans une formidable leçon de dépassement de soi.
Un livre à avoir dans sa bibliothèque !

« Il flotte une atmosphère humide dont Raciwz écrit qu'elle lui avait indiqué l'approche du lac et qu'elle rend les gens mélancoliques quand ils vivent longtemps au bord de l'eau. La mélancolie est une fleur que j'aime. Elle est un sentiment suranné que les habitants des villes modernes de l'Ouest ont troqué contre l'angoisse. »
« Je me dis que le voyage est la meilleure technique de métamorphose de l’homme. Je mets au défi quiconque de soutenir qu’il a traversé le désert ou séjourné dans un ashram sans ressentir un bouleversement de l’être. Ah si ! Il y a tout de même une catégorie de gens que rien ne transforme. Les voyageurs qui partent pour vérifier que le monde ressemble à l’idée qu’ils s’en font. Une fois sur place, ils déplorent que les choses ne soient pas comme chez eux et sitôt revenus, ils regrettent d’être rentrés . »

Un film de Peter Weir "Les chemins de la liberté", sorti en 2011, retrace l'épopée des évadés du goulag; celui de Jean-Marc Boivin , de 2004, nous entraîne dans l'aventure de Sylvain Tesson.

Comments

[Armagnac]

Bien d'accord, sans doute un des meilleurs livres de Tesson. On y trouve toutes ses qualités d'écrivain.

[Ritournelle]

Merci pour ton commentaire, Françoise. Le petit film de cette aventure paru en 2004 donne une idée de la difficulté des épreuves rencontrées face aux éléments, mais le livre est plus précis et plus riche.
Bonnes lectures, le Boncourt approche...

[Catherine Bosser]

Bien intéressant. Les deux aventures me tentent bien : celle de Rawicz et celle de Tesson

[Ritournelle]

Le récit de Rawicz, publié 10 ans après son évasion présente certaines invraisemblances qui lui ont été reprochées. Toutefois, même si l'imaginaire prend le pas sur la réalité à certains moments, ce récit doit être passionnant.