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Le blog de Ritournelle

Patria - Fernando Aramburu

Ritournelle

 Grand succès littéraire depuis sa parution en Espagne en 2017 et en 2018 pour la France, ce roman traite d'un phénomène important qui a balayé les 40 dernières années de l'histoire de ces deux pays.
L'éditeur Actes sud le présente ainsi :
"Lâchée à l’entrée du cimetière par le bus de la ligne 9, Bittori remonte la travée centrale, haletant sous un épais manteau noir, bien trop chaud pour la saison. Afficher des couleurs serait manquer de respect envers les morts. Parvenue devant la pierre tombale, la voilà prête à annoncer au Txato, son mari défunt, les deux grandes nouvelles du jour : les natio­nalistes de l’ETA ont décidé de ne plus tuer, et elle de rentrer au village, près de San Sebastián, où a vécu sa famille et où son époux a été assassiné pour avoir tardé à acquitter l’im­pôt révolutionnaire. Ce même village où habite toujours Miren, l’âme sœur d’autrefois, de l’époque où le fils aîné de celle-ci, activiste incarcéré, n’avait pas encore de sang sur les mains – y compris, peut-être, le sang du Txato. Or le retour de la vieille femme va ébranler l’équilibre de la bourgade, mise en coupe réglée par l’organisation terroriste."
Le décor est planté :. on sait par cette description que l'auteur aborde ce pan d'Histoire dramatique par le biais de deux familles d'un village du pays basque sud , autrefois très liées, dans lesquelles les mères sont les représentantes de cette société matriarcale. D'une part Bitorri , veuve d'un chef d'entreprise surnommé "Le Txato", abattu après avoir été victime de harcèlement pour avoir refusé de payer les sommes exorbitantes de l'impôt révolutionnaire; de l'autre, son amie de toujours, Miren, qui a toujours défendu le radicalisme de son fils José Mari, incarcéré en Andalousie et complice de l'assassinat de El Txato, alors que son mari Joxian a une attitude plus nuancée. Autour d'eux, gravitent d'autres personnages, les enfants de Bitorri , Xabier et Nerea, Gorka et Arantxa, ceux de Miren. Tous ont l'amour de leur terre, de leur langue, de leur identité, de leur culture, mais certains tombent dans le fanatisme. Aramburu l'explique de la façon suivante :

"Je ne sais pas si cette idéologie a été totalitaire, mais ceux qui se sont efforcés de la mettre en oeuvre, oui, sans aucun doute. Ils ont voulu créer, de force, une communauté idéale. Estimant que certains citoyens y faisaient obstacle, ils ont fait d'eux des ennemis. Ils ont nié leur humanité. Après les avoir 'chosifiés', ils se sont arrangés pour les supprimer du paysage rêvé. Il y a eu plusieurs degrés dans cette exclusion : le silence, la soumission ont été les plus légères. Ensuite, l'exil. L'expulsion extrême a été l'assassinat sélectif. ETA a été créé pour accomplir cette tâche spécifique."
Euskadi Ta Askatasuna = Patrie et liberté

Et justement, dans ce même élan pour défendre leur patrie, toutes les tendances politiques ou religieuses se mêlent, même le curé soutient que Dieu défend les militants car ils prient en euskara. Chacun apporte son soutien financier aux prisonniers considérés comme des héros. On ne tient pas compte de la souffrance des victimes.
La question centrale du roman est celle de la réconciliation. Comment pardonner sans pouvoir oublier et obtenir le repentir de celui qui a commis un crime. C'est le long chemin que Bitorri entreprend .

125 chapitres composent la construction du livre envisagée de façon non chronologique,pour mieux mettre en évidence cette sensation de chaos, avec l'épisode de la mort qui revient de façon récurrente, comme une obsession. Peu à peu se dessine l'hypothèse d'un apaisement grâce aux liens que noue Bitorri avec la fille de Miren.
Une autre façon d'affirmer son identité sans violence, est celle que choisit le petit frère de Jose Mari, Gorka, qui trouve dans la littérature une voie possible de célébrer sa culture avec conviction .
C'est aussi ce qui a sauvé l'auteur du fanatisme, lui qui a quitté Saint Sébastien pour l'Allemagne en 1985 :

«A l’âge de 18 ans, déclare-t-il, j’ai moi-même été tenté de prendre les armes, moi aussi j’ai été morbidement aimanté par cette esthétique romantique, celle de pouvoir devenir un héros se sacrifiant pour le soi-disant peuple opprimé. Trois choses m’ont sauvé : les valeurs chrétiennes de mon milieu familial, cette liberté que me donnait ma ville, Saint-Sébastien, et qui n’existe pas dans le milieu rural, et puis la culture, les livres.»

D'ailleurs, le constat de José Mari depuis sa prison est plutôt amère :

« Il avait fait du mal et avait tué. Pourquoi ? La réponse le remplissait d’amertume : pour rien. Après tant de sang, ni socialisme, ni indépendance, que dalle ! Il avait la ferme conviction d’avoir été victime d’une escroquerie. »

J'ai parcouru ce roman avec beaucoup d'intérêt parce qu'il s'adresse à tout le monde, à ceux qui ont vécu de près ou de loin cette période douloureuse, et aussi aux autres qui n'en ont pas été les témoins. La qualité narrative fait que l'on est tenu en haleine constamment, l'étude psychologique des personnages dépeint parfaitement les relations humaines avec les non-dits, les secrets, les hypocrisies, les doutes, les questionnements face à des événements d'une telle ampleur qui mettent en danger le sens de l'éthique et de la responsabilité.
De grandes qualités mises en évidence par Mario Vargas Llosa :

"Il n’y a que Patria qui m’ait fait vivre, depuis l’intérieur, non pas comme un lointain témoin mais comme un bourreau et une victime de plus, les années de sang et d’horreur dont a souffert l’Espagne avec le terrorisme d’ETA ."
Aucun gagnant ni perdant dans ce conflit que chacun peut analyser à sa façon, simplement de la souffrance,comme celle qu' engendre n'importe quel  fanatisme.
Un grand livre qui m'a donné autant de plaisir de lecture que L'amie prodigieuse, même si les sujets abordés n'ont aucun point commun, mais ce sont les oeuvres d'une grande qualité narrative, celle de deux grands auteurs d'aujourd'hui.

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Commentaires
C
Je note pour cet hiver ce roman du Pays Basque....<br /> Je lis en ce moment un gros pavé<br /> City on Fire de Garth Risk Hallberg<br /> Un premier roman...Manhattan dans les années 70<br /> Histoire de personnages...qui vont se croiser...<br /> Épopée épique sur la condition humaine....<br /> Espère que tes travaux se passent bien...<br /> Ici on bosse tranquillement....grosse chaleur des 32/34 degrés <br /> ...les orages arrivent ce soir..
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R
Celui-ci est aussi un gros pavé (600pages)mais il est passionnant.Je crois que tu ne seras pas déçue. Tu me diras si tu as aimé City on cite. Oui, led travaux sont terminés, maintenant, il faut nettoyer, ranger....<br /> Bonne soirée Cathy !