Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog de Ritournelle

90 secondes - Daniel Picouly

Ritournelle

90 secondes, c'est le temps qu'il a fallu à la Montagne Pelée pour détruire la ville de St Pierre, en Martinique, le 8 mai 1902, à 7h52 précises.
Comment l'idée d'écrire ce roman est-elle venue à l'esprit de Daniel Picouly? Il a puisé dans les souvenirs familiaux, plus exactement dans ceux de son grand-père enfant, qui habitait Fort de France, et dont les bateaux était une vraie passion; il se faisait une fête d'aller voir accoster. le Belem ce le 8 mai 1902 à St Pierre ; la famille devait donc s'y rendre  pour l'occasion; mais le capitaine refusa de jeter l'ancre à St Pierre et l'enfant, informé sur le quai de départ de cette décision, préféra rester à Fort de France, ce qui sauva la vie de la famille.
Voilà l'origine de ce récit foisonnant raconté par la Montagne Pelée elle-même avec force détails; l'auteur en fait un vrai personnage capable de sentiments de haine ou d'amour, de doutes, de besoin de se justifier : faut-il tuer tout le monde ou en épargner quelqu'un? Elle envoie de multiples signes avant d'exploser, elle crache des cendres, fume, avertit, mais personne ne bouge, seuls les animaux ont compris et s'enfuient. Il est vrai qu'on est en période d'élection, le vote noir ne doit pas l'emporter sur le vote blanc et la Métropole ne fait rien pour évacuer la population , car dans ce cas, seuls les noirs resteraient... Et la Montagne sait qui elle va choisir comme cible : les prétentieux, les arrivistes qui ont fait leur fortune sur le dos des pauvres . Le Gouverneur est là pour rassurer; très vaniteux, il affirme avoir la situation sous contrôle; beaucoup plus sympathique est le couple d'amoureux que forment Othello et Louise, sorte de Roméo et Juliette de milieux sociaux différents; Juliette a aussi un autre prétendant, son tuteur Vintelle qui veut la forcer à l'épouser, s'en suit un duel mettant à l'épreuve Othello. Mais la Montagne observe, elle sait qui mérite sa grâce!
Les survivants du cataclysme, ceux qu'elle a choisi de garder en vie, auront pour mission de raconter cet événement violent qui a vu la nature se déchaîner  pour tout ravager : « Le diable a bu du rhum. On a souillé les églises, déterré les cadavres. Saint-Pierre doit se repentir. Tandis que je crache de la boue et du feu, que je ravage les champs, les bêtes et les hommes, ils battent des mains comme des enfants à Carnaval. Ils oublient de redevenir des animaux sages, de faire confiance à leur instinct."
L'originalité du livre, c'est d'abord de personnifier le volcan, ce qui est une pratique courante pour ceux qui vivent tout près (le Stromboli, c'est aussi Iddu, pour les habitants de l'île, c'est à dire "Lui" en sicilien). Le ton léger du récit convient parfaitement à la philosophie de vie des habitants qui sont habitués à vivre au jour le jour, à accepter le destin comme il se présente.
L'autre intérêt du roman 'est cette langue flamboyante qui suit les humeurs du volcan; il y a de la poésie, de la malice, de l'ironie dans ces mots percutants et vifs, une tension qui mène à l'explosion finale.
Mais ce fait historique nous incite aussi à réfléchir  à une certaine similitude avec le monde politique actuel , à ses mensonges et à son déni des cataclysmes de la nature.

"Mais qui accordera le moindre crédit à un petit professeur du lycée de Saint-Pierre ? « Réfugiez-vous sur les hauteurs ! » Personne n’a voulu entendre ce cri. Il résonne au plus profond. C’est un vieux cri. Un cri de chair et de crocs. Un cri de nègre marron bravant chiens et maître. Se réfugier sur les hauteurs, c’est redevenir marron. Renier une liberté conquise. Tu as tort, petit homme. Cours ! Cours vite, loin et haut ! Le morne est ton seul salut. Ton unique refuge. Morne Aileron, morne Coco, monte, nègre, monte ! Morne-Rouge, morne Fumé, morne Balisier, monte ! Le morne est ton frère. Il saura te cacher. Ne te retourne pas. Ne te laisse fléchir ni par le souffle putride dans ton dos, ni par les aboiements, les crocs de porcelaine, le fouet, le poids des fers ou le doute cotonneux aux jarrets. Cours ! Embrasse l’arbre à pain nourricier, dévore-le, découvre-toi libre dans l’eau des pierres, le souffle d’une aile, aspire au plus infime des parfums, garde en ajoupa sur ta tête crépue de vent un morceau de ciel étoilé…"

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commentaires