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Le blog de Ritournelle

Le pays des autres - Leila Slimani - t1 La guerre, la guerre, la guerre

Ritournelle

Avec ce roman, Leila Slimani se tourne vers une inspiration à la fois autobiographique et historique.
Née à Meknès il y a trente-huit ans,  elle est issue d’une famille à la double culture, marocaine et française.
En 1944, Mathilde, sa grand-mère maternelle d’origine alsacienne épouse un spahi, dont le régiment se trouve dans son village. Et c’est précisément l’histoire de cette femme hors norme pour l’époque , qu’elle a choisi de raconter dans une saga mêlant l’intime et l’Histoire.
Dans ce premier tome, qui sera suivi par deux autres, on suit Mathilde de 1944 à 1955.
Ayant vécu les frustrations dûes à la guerre pendant son adolescence, à 19 ans , elle a une grande soif d'aventure. De milieu bourgeois, elle tombe amoureuse du beau colonel des spahis, l’épouse, et le suit au Maroc, alors sous protectorat français, où elle pense satisfaire ses rêves, se voir, avec un mari séduisant, propriétaire d’une belle ferme . Elle ne se doute pas de ce qui l’attend.
Dans un premier temps, le couple s’installe à Meknès, chez la mère d’Amine qui est veuve et vit avec son fils Omar et sa jeune soeur Selma. Puis en 1949, après quelques travaux d’aménagement, Amine et Mathilde déménagent dans une ferme aux environs de la ville , achetée auparavant par le père d’Amine.
Les terres sont arides, il faut s’épuiser à la tâche pour en tirer quelque chose. Mais Amine veut transformer la propriété en grande exploitation,et pour cela, il est prêt à tous les sacrifices.
L’isolement perturbe Mathilde, elle a perdu ses repères français, s’ennuie loin de sa famille, de l’animation de Meknès , passe son temps à s’occuper de ses deux enfants, Aicha et Selim . La réalité est bien différente de celle des rêves qu’elle a nourris par la littérature. Le manque d’argent, la méfiance qu’elle inspire sont son quotidien. Elle ne sait plus quelle est sa réelle identité, se sent étrangère parce que rejetée par les colons qui estiment qu’elle n’est pas des leurs par son mariage avec un indigène, avec tous les préjugés de sexualité débridée que cela comporte.
De son côté, Amine, se sent lui aussi étranger dans son propre pays ; il est humilié par les français alors qu’il a participé à la guerre dans leur camp, et son autorité auprès de ses ouvriers qui le considèrent comme un colon, est remise en cause.
Mais tous deux ont un caractère fort, ils ne baissent pas les bras devant les difficultés.
Le challenge de Mathilde, c’est de parvenir à trouver sa place dans une culture qui laisse peu d’autonomie à la femme, celui d’Amine est d’obtenir des récoltes aussi productives que celles des colons, et de parvenir à des relations harmonieuses avec sa femme si fantasque et rebelle.
Ce roman foisonnant nous parle de la différence, celle entre orient et occident à une période où la guerre est en toile de fond, avec la montée du sentiment nationaliste et des premières révoltes contre l’occupant français, celle des relations entre races, entre homme et femme, où chacun est étranger dans le pays de l’autre.
Il évoque le thème du métissage incarné par la petite Aicha, enfant intelligente et mystérieuse , qui souffre du rejet de ses camarades dans une institution privée tenue par des sœurs françaises. Et quel meilleur symbole pour la représenter que celui du « citrange », greffe d’une branche de citronnier sur un oranger, tentée par Amine, mais qui donne des fruits trop amers.
Et bien sûr, la volonté d’émancipation féminine est portée par Mathilde, dont les références culturelles et le fort tempérament la poussent vers un désir d’autonomie, de liberté, tout en s’intégrant dans le pays de son mari. Mais il y a aussi Selma, jeune sœur d’Amine, débordante de sensualité, subversive, qui incarne la première génération de femmes qui vont à l’école.
Le point commun de ces personnages est qu’ils sont profondément humains, avec leurs doutes, leurs colères, leur ambiguité. Mathilde hésite, après être retournée en Alsace suite au décès de son père , à revenir au Maroc. Amine , quant à lui est partagé entre un désir de modernité et l’attachement à son pays .
Avec un style vivant, souvent empreint de poésie et sensualité dans ses descriptions, Leila Slimani restitue des atmosphères multiples, faites de lumières, d’odeurs, de contrastes entre l’animation des ruelles de Meknès et le calme des paysages arides. Elle nous immerge aussi dans l’atmosphère d’une époque troublée par les prémisses de la guerre d’indépendance, par les rapports de domination dans un système hiérarchique entre classes sociales, entre hommes et femmes, dans lequel chacun cherche sa place, où il est impératif de lutter pour sa liberté.
Une grande fresque dont on est impatient de connaître la suite.

"Tandis qu’elle pénétrait dans la maison, qu’elle traversait le salon baigné par le soleil d’hiver, qu’elle faisait porter sa valise dans sa chambre, elle pensa que c’était le doute qui était néfaste, que c’était le choix qui créait de la douleur et qui rongeait les âmes. Maintenant qu’elle était décidée, à présent qu’aucun retour en arrière n’était possible, elle se sentait forte. Forte de ne pas être libre."

« Aujourd'hui vous êtes amoureuse et c'est merveilleux. Vous croyez tout ce que les garçons vous disent. Vous vous imaginez que cela durera et qu'ils vous aimeront toujours autant qu'ils vous aiment à présent. A côté de cela les études n'ont pas d'importance. Mais vous ne savez rien de la vie ! Un jour vous aurez tout sacrifié pour eux, vous serez dépossédés de tout et dépendante du moindre de leurs gestes. Dépendante de la bonne humeur et de leur affection, à la merci de leur brutalité. Croyez moi quand je vous dis que vous devez penser à votre avenir et étudier. Les temps ont changé.»



 

 

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Commentaires
C
Un beau roman comme j'aime....prévu dans mes prochaines lectures .....
Répondre
R
Oui, je pense qu'il te plaira avec tous les thèmes qu'il aborde.<br /> Bonne soirée