As bestas

Dans le genre thriller social (qui n’est pas forcément ce que je préfère, mais qui m’oblige cependant à reconnaître le talent des auteurs), après la lecture de Histoires de la nuit de Laurent Mauvignier, j’ai découvert au cinéma l’excellent film de Rodrigo Sorogoyen, As bestas.
L’intrigue se déroule dans un hameau de Galice où se côtoient une famille de paysans rustres composée de deux frères Xan et Lorenzo vivant avec leur mère , et un couple de français, Antoine et Olga, séduits par cette campagne belle mais pauvre, où ils ont choisi de se fixer pour la faire revivre selon un idéal bien différent des autres, en faisant de l’agriculture bio et en restaurant les maisons abandonnées. Pour cela, ils se sont opposés à l’implantation d’éoliennes , ce qui a détruit le possible rêve de richesse de Xan et Lorenzo, dont les ressources très limitées les condamnent à la misère, donc au célibat .
Si les rencontres entre les hommes au café du village commencent sur le ton d’un humour acide , la haine qui anime les deux frères se concrétise en coups bas de plus en plus fréquents, en reproches, en menaces annonciatrices de violence. Les dialogues s’avèrent impossibles, chacun campant sur ses positions et la peur s’installe chez Antoine et Olga…
Le ton est donné avec la première scène du film où l’on voit deux « aloitadores » qui tentent de maîtriser un cheval sauvage à mains nues dans un superbe ralenti où élégance et sauvagerie se confondent ; on devine alors quelle peut être l’issue de la confrontation de ces voisins ancrés dans leurs certitudes, où transparaissent xénophobie et différences culturelle, sociale.
"La patrie comme territoire de conflit. L’affrontement né de l’affirmation « je suis ici chez moi, mais pas toi ». Une fois qu’on a identifié cette situation, il nous faut comprendre pourquoi Antoine et Olga risquent tout pour mettre en œuvre leur projet dans cette petite ville."
Sorogoyen se garde d’apporter un jugement quelconque mais il permet d’envisager que chaque point de vue peut se comprendre :
"Ce que je trouve intéressant dans la justice, c’est qu’elle n’est pas incontestable. Elle est relative. En fonction du point de vue qu’on adopte pour raconter une histoire, on peut avoir une certaine conception de ce qui est juste ou, à l’inverse, en avoir une vision radicalement différente."
"Avec ma co-scénariste, on aime placer le spectateur (c’est-à-dire nous-mêmes) à la place de l’autre, dans la situation la plus inattendue. Quand nous créons des personnages, nous nous obligeons à les comprendre."
Dans une mise en scène lente, où la musique vient annoncer les face-à-face tendus entre les protagonistes, l’atmosphère angoissante de ce thriller est contrebalancée par des moments d’apaisement et de tendresse entre Antoine et Olga, dont l’amour sincère guide ce projet utopique.
Voilà un film puissant , magnifiquement porté par des acteurs très investis dans leurs rôles.
A voir sans hésitation!