Les Amandiers

Il n'est pas question ici d'entrer dans la polémique qui entoure ce film concernant l'acteur Sofiane Bennacer , mais de juger cette autofiction en tant qu'oeuvre.
Valeria Bruni-Tedeschi revient sur un épisode de sa jeunesse qui l'a profondément marquée à la fois sur le plan artistique et personnel, car elle lui a permis de vivre des expériences fortes.
"Cette école a été fondatrice pour moi, dans mon travail et dans ma vie."
Dans les années 80, elle a fait partie de la troupe de comédiens sélectionnés par Patrice Chéreau, alors directeur du théâtre des Amandiers à Nanterre, et Pierre Romans, son assistant, chargé d'apprendre la technique théâtrale à ces élèves passionnés d'art dramatique. Parmi eux, certains ont fait du chemin : Agnès Jaoui, Vincent Pérez, Marianne Denicourt, Bruno Todeschini, Eva Ionesco. Pour faire revivre ces souvenirs déjà lointains, la réalisatrice a  contacté tous ces camarades afin de créer une fiction qui  préserverait leur identité :"Je les ai recontactés un à un, on s’est retrouvé. Ça a été joyeux, j’avais l’impression étrange que le temps n’était pas passé. Ils savaient que le film serait de la fiction, qu’on allait modifier la réalité et que leurs noms n’apparaîtraient pas. Ils ont été tous très généreux dans leurs témoignages."
Le film évoque les séances de travail, à Nanterre ou à l'Actors studio de New-York, basé sur la méthode Stanislavski, qui implique que l'acteur trouve la vérité de son jeu dans ses émotions et ses affects. Pierre Romans démontre plus de bienveillance que Patrice Chéreau dans ses rapports aux élèves : deux metteurs en scène opposés dans leurs méthodes pédagogiques, l'un inspirant la douceur, l'écoute, l'autre la crainte, la brutalité.
Parallèlement à ces moments de travail intense (que j'aurais préféré plus nombreux) viennent s'intercaler les séquences de la vraie vie que mènent ces jeunes pleins d'énergie et d'enthousiasme, mais dont l'insouciance est vite rattrapée par les problèmes de paternité, de drogue et de sida. A ce propos, Valeria Bruni- Tedeschi évoque son histoire d'amour forte et tragique avec Thierry Ravel décédé d'overdose en 1991, portée par les magnifiques acteurs que sont Nadia Tereszkiewicz et Sofiane Bennacer, animés par la fougue, la sensualité et la fragilité de leurs personnages. Quant à Patrice Chéreau, il est incarné par un Louis Garrel remarquable de justesse, talentueux, exigeant, et parfois violent. Micha Lescot est un Pierre Romans un peu dominé par la personnalité de Chéreau , mais qui suscite l'attachement des élèves tant il est respectueux, attentif à leur égard.
Les Amandiers est certainement le meilleur film de Valeria Bruni-Tedeschi pour plusieurs raisons : il est bien rythmé, avec une alternance entre la vie du groupe et les portraits individuels,   donne à voir un témoignage d'époque, celui des années 80 avec ce mélange d'insouciance et de tragédie. C'est aussi l'initiation d'un groupe de jeunes énergiques et fougueux à la méthode d'art dramatique la plus innovante de l'époque, qui trace pour certains leur chemin de vie.
Ivresse du jeu et ivresse de la vie se conjuguent parfaitement dans une mise en scène réussie servie par une bande son en adéquation avec le scénario.
Nostalgie d'une époque bien éloignée de la nôtre, car, comme l'affirme la réalisatrice, "Aujourd'hui, l'école de Nanterre , sa liberté, sa folie, ne pourrait plus exister".
Un bel hommage à l'art dramatique, à sa magie et à ce qu'il dévoile de l'humain.
A voir sans hésiter

la troupe des Amandiers avec Patrice Chéreau et Pierre Romans