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Le blog de Ritournelle

Les ombres blanches - Dominique Fortier

Ritournelle

Ce livre fait suite aux Villes de papier (prix Renaudot essai 2020) dans lequel l’écrivaine aborde les dernières années de la poétesse américaine Emily Dickinson (voir article sur ce blog : http://ritournelle.over-blog.com/2021/01/les-villes-de-papier-une-vie-d-emily-dickinson-dominique-fortier.html). Fascinée par ce personnage, elle a ressenti très vite le besoin d’envisager ce qu’il était advenu des écrits d’Emily.

«À sa mort, son œuvre a pris naissance. C’est un moment de bascule. Il restait toute cette histoire à raconter: celle de la naissance, de la venue au monde de ses poèmes qui avaient été gardés secrets pendant toute sa vie
Emily ne voulait rien publier de son vivant, seuls quelques privilégiés connaissaient ses poèmes; sa sœur Lavinia, à qui elle avait répété de nombreuses fois de brûler ses journaux et ses lettres à son décès, se conforme avec regret et douleur à ce souhait. Par contre, pour ce qui est de ses poèmes, Emily n’a laissé aucune consigne, alors Lavinia ne peut se résoudre à éliminer tous ces bouts de papier accumulés dans un tiroir qui sont autant de poèmes , tout comme des dizaines de livrets manuscrits, dont les feuillets ont été cousus à la main. Cette richesse -là doit absolument perdurer…
Lavinia n’est pas la seule à vouloir préserver ce trésor : autour d’elle , il y a Susan la femme de son frère Austin ainsi que Mabel, sa maîtresse , toutes animées de la même curiosité de savoir quelles empreintes elles ont laissé dans le coeur d’Emily et ce que la poétesse a voulu confier de sa propre personne. Et il y a aussi la petite Milicent, fille de Mabel , à qui Austin donne le kaléidoscope d’Emily, comme une porte ouverte sur l’imaginaire. L’enfant connaît déjà l’importance des mots , elle les savoure dans ses premières lectures, sait que les poèmes sont « des ombres blanches, des textes tissés à même les silences entre les mots, une maison faite de fenêtres. »
Les trois femmes s’emploient à trier les poèmes, à les confier à l’éditeur Higginson pour leur publication, après que Mabel en ait effectué la correction. Parallèlement à ce travail passionnant qui les occupe, elles vivent aussi des relations affectives, parfois difficiles dans le contexte d’une petite ville américaine du 19ème siècle où les liaisons ont un parfum de scandale : Mabel est celle qui détourne Austin de son épouse Susan, quant à Lavinia, elle entretient une relation secrète avec l'ouvrier qu'elle emploie.
Dominique Fortier est aussi présente dans ce texte par ses réflexions personnelles sur la fugacité du temps, sur ce qui se passe après la mort. « Entre la fiction et la réflexion, il y a quelque chose qui se joue, là, et il me semble que l’espace ou la porte que j’ouvre permet au lecteur d’entrer ou de sortir ". Et elle met en lumière l’importance de la littérature qui permet de résister au temps qui passe, au lot commun des êtres et des choses :« Pour moi, l’enjeu de la littérature, ç’a toujours été ça. C’est la raison pour laquelle j’ai commencé à écrire. Je sentais que le temps se déroulait à une vitesse folle et je me disais que je devais trouver un moyen d’arrêter le mouvement quelques secondes. »

L'écrivaine considère les livres comme des guides précieux qui traversent le temps, car ils fabriquent des dialogues entre les hommes tout au long des siècles.

« Parmi les arbres, certains rêvent de devenir navire, sabot, berceau, maison, balançoire, marionnette, flûte, piano. On fait de tout avec les arbres – même des livres. Les bibliothèques sont encore des forêts. Ouvrir un livre, c’est se retrouver au-dehors (de soi, du monde qui nous entoure) en même temps qu’au plus près des êtres et de ses propres secrets, par le prodige de cet autre monde inventé ou sauvé du temps. »

Un roman d’une infinie délicatesse, qui nourrit le lecteur de sa poésie.

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