Fermer les yeux

Victor Erice n'est pas un réalisateur prolifique, mais il nous offre des œuvres de grande qualité. On se souvient notamment de L'esprit de la ruche, sorti en 1973, avec la jeune Ana Torrent interprétant le personnage principal. L'actrice est à nouveau dans ce film pour incarner la fille de l' acteur Julio Arenas qui disparaît alors qu'il est en train de tourner un film réalisé par son meilleur ami, Miguel Garay. L'enquête conclut à un accident.
22 ans plus tard, la télévision revient sur ce fait divers pour lequel le témoignage du cinéaste est sollicité. Le passé enfoui refait surface dans sa vie, jusqu'à aboutir, au terme de recherches assez longues, à un face à face avec l'acteur, plein d'interrogations et de mystère, car celui-ci a perdu la mémoire...
Le scénario est nourri autant de réel que d'imaginaire : "Fermer les yeux met en relation deux styles différents : celui du cinéma classique, avec son canon illusionniste, tant dans les atmosphères que les personnages ; et un autre, chargé de réel, celui du cinéma moderne. Ou, en d’autres termes, deux types de récit : l’un qui raconte la vie moins comme elle était que comme elle devrait être ; et l’autre, à la dérive, contemporain, sans mémoire ni avenir certains."

La première scène, magnifique, nous introduit dans une vieille demeure en pleine forêt, où le maître des lieux, un vieil homme en fin de vie, charge un ami de retrouver son unique fille , partie avec sa mère à Shangaï, où elle a changé d'identité. C'est, en fait, la dernière scène du film que tourne l'acteur avant de disparaître. On peut y voir aussi une similitude avec les disparitions répétées de Victor Erice entre chaque film , abandonné lui-même par un producteur alors qu'il tournait Les nuits de Shangaï.
La disparition, thème récurrent, c'est aussi celle de l'acteur dans son rôle, ce qui suppose en même temps, la perte de son identité , voire de sa mémoire. Mais si la mémoire fait défaut, le cinéma a aussi la capacité de faire revivre le passé, de lui donner une réalité, d'abolir le temps. L'image, celle des photos, archives, ou médias a le pouvoir de ressusciter des personnages, des atmosphères.  Elle est porteuse d'émotion, permet aussi de se redécouvrir soi-même quand la mémoire est défaillante.
Ce film est un vibrant hommage au cinéma, il traite du thème de la vieillesse que chacun doit aborder "sans peur et sans espoir", du temps qui passe, du deuil, de la réparation, de l'identité, de la mémoire.
Pendant presque 3 heures, on se laisse porter par la mise en scène remarquablement maîtrisée. Le choix de la bande originale imprègne les scènes d'une douce nostalgie, et le casting est particulièrement bien choisi. Tous les acteurs réussissent à nous entraîner dans cette histoire captivante, à portée universelle, qui est peut-être le testament cinématographique de Victor Erice.
Fascinant et poignant, à voir absolument!



 

Comments

[Cathy]

J ai noté 😉😘

[Ritournelle]

J'ai beaucoup aimé ce film original, l'un des meilleurs de cet été.