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Le blog de Ritournelle

La mémoiré délavée - Natacha Appanah

Ritournelle

La collection Traits et portraits des éditions Mercure de France rassemble des autoportraits de personnalités issues d’univers différents, agrémentés d’illustrations venant enrichir les textes proposés.
Natacha Appanah a été sollicitée pour ajouter son histoire personnelle à cette collection. Ce titre , La mémoire délavée, est envisagé comme un vibrant hommage à ses grands-parents maintenant disparus. Le livre s’ouvre avec l’évocation des vols d’étourneaux, ces oiseaux qui lors de leur migration, décrivent des formes harmonieuses dans le ciel, et ne sont pas conscients de la beauté de leur vol car ils sont juste faits pour « voler et survivre ». Ils se murmurent des choses pour savoir où et comment partir. A leur image, certains humains se déplacent, d’un territoire à un autre, pour leur survie.
C’est ainsi qu’après l’abolition de l’esclavage, à partir de 1820, français, anglais et néerlandais ont cherché une main d’œuvre peu chère pour travailler dans les champs de canne à sucre. Ces engagés, nommés aussi coolies, ont débarqué dans plusieurs pays du monde sans savoir ce qui les attendait, tant au niveau de la durée de leur séjour, que de la nature de leur travail. Les ancêtres de l’écrivaine sont donc partis d’Inde, en 1872, pour rejoindre l’île Maurice, comme 500 000 autres indiens, affublés d’un numéro à leur arrivée à Port-Louis. Quelles traces leur reste-t-il alors du passé  ? De génération en génération, la mémoire des lieux, des traditions s’efface, d’autant que les conditions de vie sont très dures. De ses ancêtres à ses parents et à sa propre enfance, Natacha Appanah tente de sauver, protéger cette mémoire identitaire collective. Les archives, les dialogues avec ses grands-parents analphabètes qui représentaient un monde décalé, entre deux cultures, encore attaché aux traditions indiennes, avec ses croyances et ses superstitions, mais aussi tourné vers la religion catholique, sont autant de sources pour se sentir légitime d’écrire et aussi d’avouer ce qu’elle suppose, car la mémoire est parfois floue ou embellie. Ses grands-parents, ces êtres humiliés aussi bien physiquement que moralement, persuadés d'être les héritiers d'une culture mineure, avec lesquels elle a passé son enfance, étaient désireux de s'élever socialement : ils étaient des modèles de force et de courage. La figure du grand-père est particulièrement mise en avant, cet homme taiseux qui osa s’opposer à son patron à l'âge de 23 ans, ce qui lui valut d’être éloigné du reste de la famille.
La transmission de valeurs fortes, de peurs aussi, comme celle de l’eau, qui par sa couleur noire pouvait faire perdre l’identité, les souvenirs olfactifs, sont autant d’éléments qui composent et enrichissent la personnalité de l’écrivaine dans ce magnifique portrait de famille discret, pudique, nostalgique, tout en tendresse,  poésie et émotion. C’est aussi un témoignage historique important, qui a sans doute beaucoup de résonance pour tous ceux qui connaissent l’exil.

« Mon esprit les a lavés, ces ancêtres, essuyé leurs visages, coiffés leurs cheveux, habillés de vêtements propres, éloignés des cales de bateaux, et de la perspective du labeur quotidien des champs de canne. C’est une image presque proprette. C’est une mémoire délavée. »

« Il y a des absences, des pans d’histoire tombés dans le vide, et je reste des jours au bord de ces gouffres, je n’arrive pas à les contourner, je voudrais fouiller les abîmes avec mes yeux me salir les mains à force de les plonger dans cette matière retrouver le goût de ce qui est perdu mais elles sont à jamais, ces absences. »

« Quand revient le temps des étourneaux, mon visage est souvent levé vers le ciel crépuscule dans l’illusion d’y apercevoir avec clarté et sincérité mon propre récit de migration, d’y lire le début, la beauté, l’intention, la forme et le secret. Ce n’est pas la voile d’un bateau, ce sont juste des étourneaux et c’est beau, aussi, juste des étourneaux. »
 

 

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Commentaires
D
Je note...Excellent week end Françoise 😉😘
Répondre
R
J'ai bien aimé cette histoire familiale tellement éloignée de la nôtre...