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Le blog de Ritournelle

Les deux Beune - Pierre Michon

Ritournelle

Pierre Michon est l'un de nos meilleurs écrivains contemporains par le soin extrême qu'il apporte à la langue de ses écrits. On connaît Vies minuscules, La vie de Joseph Rolin, Les Onze, autant de titres qui appartiennent à la belle littérature. Les deux Beune rassemble deux textes écrits à 27 ans d'intervalle, le premier, La grande Beune, en 1996, et le second, La petite Beune, cette année. On y retrouve le même décor, celui de la Dordogne, où un jeune instituteur, Pierre, est nommé en 1961 au bourg de Castelnau, près de Lascaux.  Des paysages de bois, de champs, de grottes, qui à l'époque, se visitent encore. Et les Beune, ces deux petits ruisseaux qui se rejoignent avant de se jeter dans la Vézère.
Les personnages n'ont pas changé : Jean, le Pêcheur, qui sait tout des poissons, Hélène la propriétaire de l'auberge où demeure Pierre, et Yvonne la buraliste, objet des fantasmes du jeune garçon, Jeanjean, l'agriculteur amant d'Yvonne. Cette femme sensuelle,"à la peau de lait", qui soigne toujours sa mise, perturbe Pierre et éveille en lui un désir obsédant . Si La Grande Beune se terminait par un apaisement de ce fantasme érotique :"« Et enfin nous dormions tous, la Beune continuait. », La Petite Beune voit renaître ce désir ardent, irrépressible. Et ce n'est pas la présence régulière de Mado, sa jeune fiancée étudiante à Périgueux, les week-ends, qui annule cette tension permanente. C'est donc la lente montée de ce désir, jusqu'à son assouvissement, qui fait l'objet de ce texte.
Pierre Michon parvient, avec son écriture ciselée, à nous plonger dans une atmosphère où les sens sont exacerbés, où tout n'est que sensation, perception, que ce soit par la description des paysages d'automne ou d'hiver, par les portraits des personnages (pêcheurs, écoliers, femmes), par la force des premières fresques humaines dans les grottes.
 On sent chez l'écrivain la jubilation d'écrire dans une langue poétique qui suit la fulgurance du souvenir de l'adolescent qu'il a été, qui célèbre la beauté sous toutes ses formes et nous dit avec élégance l'urgence d'en faire notre préoccupation essentielle.
"Je revois ce brouillard. Je revois ce fourreau que tissaient les eaux perfides et tricoteuses de la Beune, et qui le long de la falaise monter gainer les peupliers, l'auberge, l'église. Le monde avait mis ses dentelles pour que je les froisse, il m'aguichait de toutes les façons; le monde est une femme. J'entrai en lui et fus un autre : peut-être est-ce là la cause de tout ce qui suivit; car les causes, c'est du brouillard."

"Je m'arrêtais soudain ; j'imaginais sa bouche ; j'imaginais sa gorge ; à la pensée de ses reins je tremblais au-delà de toute convoitise. Te voyant, me disais-je, peut-être elle va sans un mot renverser la tête, trembler comme tu trembles, te saisir là où tu veux la saisir, et les jupes dans ses mains elle se donnera là, contre ce bouleau, dans ces flaques où seront tombés ses sequins, où pétriront ses paumes, où tu verras l'image de ses seins, et plus secouée qu'un arbre dans le vent ses grands cris renversés feront partir les corbeaux. "
Magnifique!


 

 

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