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Le blog de Ritournelle

Venises - Paul Morand

Ritournelle

Si Philippe Sollers a écrit en 2004 son Dictionnaire amoureux de Venise, Paul Morand l'a précédé en publiant ce titre pluriel en 1971.
De sa jeunesse à son décès, il a été fidèle à cette ville que Proust nommait "haut lieu de la religion de la Beauté". Et s'il en parle au pluriel, c'est qu'il en a exploré tous les aspects au fil du temps. Cet homme discret, au passé trouble pendant la seconde guerre mondiale, a senti qu'il devait se livrer un peu sur lui-même vers la fin de sa vie. Le livre est donc envisagé comme une sorte de journal, d'autobiographie, avec des confidences sur une ville tant aimée et sur une vie si riche d'expérience.
Si Venise a rythmé la vie de Paul Morand, elle lui a été donnée en héritage par ses parents qui chaque année s'y rendaient, côtoyaient tout le milieu artistique et intellectuel du début du 20è siècle, participaient notamment au cénacle d'Henri de Régnier. Proust étant un ami de son père peintre, il a été initié très tôt au goût des mots, tout comme à l'art et à l'opéra par les nombreux convives qui étaient régulièrement invités dans la maison de sa grand-mère maternelle, issue de la grande bourgeoisie. Mais ce monde-là, très cultivé, avec lequel il s'entendait bien, ne lui laissait pas la possibilité de savoir qui il était vraiment. Et pour cela, une seule solution s'imposait : partir.
C'est ainsi que le voyage est devenu une priorité. Pendant l'adolescence, il a fait de nombreux séjours à Londres, et dès 1907, il "s'est jeté sur l'Italie comme sur un corps de femme". Celui qui a écrit L'homme pressé a tout de suite perçu que le sens de sa vie serait tourné vers l'ailleurs, vers la lumière; pas demain, tout de suite, pour échapper aux hommes et au Temps. Cette époque de ses 19 ans marque le début d'une longue histoire passionnelle avec Venise, dont il décrit la splendeur tout autant que la crainte de la voir disparaître; il y mêle différentes considérations historiques, personnelles, sans pour autant faire allusion à son rôle pendant le gouvernement de Vichy. Pourtant , en 1917, les rencontres avec des hommes politiques d'un autre bord que le sien, dans les salons littéraires à la mode, auraient pu l'influencer : "Marcel Sembat, (délégué SFIO) cet homme doux et tolérant, humanisait le socialisme; grâce à lui, je compris qu'il fallait surmonter cette terreur de l'ouvrier, qui nous venait de 1848 et de 1871." Mais, lorsqu'il laissa échapper ces mots "Je crois au socialisme, mais ne le conçois que national" devant Bracke-Desrousseaux, un autre socialiste, la réponse de ce dernier fut plus abrupte : "Impossible; le socialisme est par essence, international."
Ambassadeur de France à Londres, Madrid, Rome, puis à Bucarest, également auteur dramatique, ce grand lettré, ami des célébrités de l'entre-deux-guerres, considéra que bien écrire, c'est le contraire d'écrire bien et que la fiction est un moyen de connaissance. Les anecdotes s'intercalent avec les aphorismes et les éléments historiques, le texte prend plusieurs directions au fil de la vie de cet écrivain voyageur qui aurait souhaité vivre complètement à Venise, mais l'obligation de faire carrière, sur les injonctions de sa femme et de sa mère, l'en empêcha.
A Venise, il a fait le constat du temps qui passe avec les nouvelles générations des années 60 et 70, ces hippies dont il admira la liberté, et auxquels il se compara au même âge. De la jeunesse il a gardé la curiosité et  le besoin de bouger.
Venise, c'est à la fois la ville-musée et le reflet de l'histoire qui avance, avec le développement du tourisme, mais c'est surtout l'antidote à la mélancolie.
Livre-confession d'un homme habité par l'art et la littérature, livre-témoignage d'un monde en mutation, écrit dans un style élégant et poétique, qui nous permet d'aborder une ville dans tous ses aspects, tout en mesurant l'impact de son charme lié à sa beauté et à son côté périssable.

« Au sommet du Campanile j'embrassais Venise, aussi étalée que New-York est verticale, aussi saumonée que Londres s'offre en noir et or. L'ensemble est lavé d'averses, très aquarellé, avec des blancs rompus, des beiges morts, relevés parle cramoisi sombre de façades pareilles à la chaire de thon. Un air violent secoue la lagune, poussant des nuages aussi légers que ces nouvelles voiles en nylon des régates, au Lido ».

« C’est après la pluie qu'il faut voir Venise », répétait Whistler : c’est après la vie que je reviens m'y contempler. Venise jalonne mes jours comme les espars à tête goudronnée balisent sa lagune; ce n’est, parmi d'autres, qu'un point de perspective; Venise, ce n'est pas toute ma vie, mais quelques morceaux de ma vie, sans lien entre eux, les rides de l’eau s'effacent, les miennes, pas."

A conseiller avant tout aux amateurs de belle littérature et aux inconditionnels de ce décor unique au monde, sensibles à sa beauté et à son mystère, un idéal esthétique qui doit absolument être préservé!

 

 

 

 

 

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Commentaires
D
Oui très intéressant ce roman voyage dans Venise....<br /> J ai noté Françoise <br /> Un livre que tu as dû savourer ....😉😘.
Répondre
R
Oui, j'ai aimé lire ce journal pour son style fluide, son vocabulaire choisi et pour découvrir cette personnalité controversée à une époque où l'on pouvait encore apprécier Venise tranquillement !<br /> Bonne journée