Croix de cendre - Antoine Sénanque

Ce roman trouve son inspiration première dans les sermons de Maître Eckart, grand théologien du 14 e siècle, qu'Antoine Sénanque a découverts par hasard il y a une trentaine d'années. Intéressé encore aujourd'hui par la mystique qui se dégage de cette oeuvre assez hermétique, il a envisagé une histoire dont l'intrigue se situe dans ce siècle chargé d'événements de toute sorte, notamment la peste noire qui a ravagé l'Europe.
On est en 1367. Au monastère de Verfeil, en Haute-Garonne, le prieur dominicain Guillaume a pour projet d'écrire ses Mémoires. Pour cela, il demande à deux de ses moines, Antonin et Robert, d'aller chercher du vélin à Toulouse, une matière de grande qualité, adaptée à l'importance des révélations à prévoir.
Ravis de quitter momentanément le monastère, les deux dominicains sont loin d'imaginer ce qui les attend, car l'Inquisition a eu vent de ce projet . Robert est conduit chez l'Inquisiteur, accusé d'hérésie et mis en prison. Antoine se voit proposer la libération de son ami si en échange, il accepte de confier les révélations que Guillaume lui dicte dans le scriptorium.
Voilà le moine dans une situation peu confortable : il ne veut pas trahir Guillaume, mais il veut tout faire pour secourir Robert. Le prieur, conscient de cela, et aidé du sacristain et du tanneur, va tenter de tout mettre en œuvre pour protéger Robert tout en continuant à raconter sa vie, notamment l'enseignement reçu de Maître Eckart, grande figure intellectuelle de l'époque, jugée hérétique et dangereuse pour l'intégrité de l'Eglise, vu son influence dans les universités et confréries de toute l'Europe, y compris jusqu'aux béguinages.
Quels sont donc les révélations susceptibles de contrarier fortement la hiérarchie ecclésiastique?
L'auteur entraîne le lecteur dans un roman d'aventure, ou un polar historique, en situant l'intrigue en différents lieux : à Toulouse, Paris, Cologne, Avignon, siège de la papauté, mais aussi dans le Moyen-Orient, sur la route de la soie. L'époque est difficile, la peste noire décime la population, les famines sont nombreuses, la guerre de Cent ans s'éternise et l'Inquisition multiplie les bûchers pour les hérétiques.
Le récit fait alterner , d'un côté, les Mémoires de Guillaume décrivant sa rencontre essentielle avec Maître Eckart, mais aussi les origines de la peste noire en 1347, lors du siège de Kaffa, et de l'autre, la lutte entre l'Inquisition et les ordres monastiques, entre Dominicains et Franciscains
La grande Histoire se mêle à celle de tous ces personnages complexes, dans une fiction réaliste qui met en évidence la pensée religieuse et philosophique de l'époque, marquée par ce grand théologien qui affirmait atteindre la connaissance de Dieu par le détachement, celle de la prière par le dépouillement.
C'est un livre érudit qui ravira les passionnés d'histoire, ou de polar (bien sûr, il fait penser au Nom de la Rose d'Umberto Eco), intéressant à plus d'un titre, tant au niveau de la vie monastique que de la spiritualité. Il m'a simplement manqué un peu de vivacité et de fluidité dans le style pour être totalement conquise.

" -L'amour s'arrête à la contemplation, répondait Eckart. C'est déjà une très haute élévation, mais il y a un degré supérieur que l'on n'atteint que par la connaissance de Dieu.
-Et cette connaissance, comment se fait-elle?
-Par le détachement. Le dépouillement de nos habits de créatures. C'est une connaissance par la nudité et par le vide. Elle ne consiste pas à remplir son esprit de savoir, comme à l'étude, mais au contraire à le désemplir, à en évacuer toute pensée. Pour que Dieu vienne, il faut lui faire de la place. Dieu n'habite pas dans la création, si tu veux le faire venir, deviens désert. C'est cela la spiritualité."
 

"-Cela ne sert donc à rien de prier?
- Je n'ai pas dit cela. Quand tu demandes quelque chose à Dieu, que crois-tu faire? Lui rappeler son devoir envers toi? L'inciter à t'offrir sa protection? personne ne peut inciter le ciel à quoi que ce soit. ta voix pourrait porter à l'infini, elle ne ferait pas obéir les anges. Dieu n'est pas comme un roi qui distribue sa bienveillance et que tu pourrais émouvoir ou séduire. Dieu n'a pas de cœur, il a sa propre guise."