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Le blog de Ritournelle

Empreinte du temps

Ritournelle

Homme
Tu as regardé la plus triste la plus morne de toutes les fleurs de la terre
Et comme aux autres fleurs tu lui as donné un nom
Tu l'as appelée Pensée.
Pensée
C'était comme on dit bien observé
Bien pensé
Et ces sales fleurs qui ne vivent ni ne se fanent jamais
Tu les as appelées immortelles...
C'était bien fait pour elles...
Mais le lilas tu l'as appelé lilas
Lilas c'était tout à fait ça
Lilas... Lilas...
Aux marguerites tu as donné un nom de femme
Ou bien aux femmes tu as donné un nom de fleur
C'est pareil.
L'essentiel c'était que ce soit joli
Que ça fasse plaisir...
Enfin tu as donné les noms simples à toutes les fleurs simples
Et la plus grande la plus belle
Celle qui pousse toute droite sur le fumier de la misère
Celle qui se dresse à côté des vieux ressorts rouillés
A côté des vieux chiens mouillés
A côte des vieux matelas éventrés
A côté des baraques de planches où vivent les sous-alimentés
Cette fleur tellement vivante
Toute jaune toute brillante
Celle que les savants appellent Hélianthe
Toi tu l'as appelée soleil
...Soleil...
Hélas! hélas! hélas et beaucoup de fois hélas!
Qui regarde le soleil hein?
Qui regarde le soleil?
Personne ne regarde plus le soleil
Les hommes sont devenus ce qu'ils sont devenus
Des hommes intelligents...
Une fleur cancéreuse tubéreuse et méticuleuse à leur boutonnière
Ils se promènent en regardant par terre
Et ils pensent au ciel
Ils pensent... Ils pensent... ils n'arrêtent pas de penser...
Ils ne peuvent plus aimer les véritables fleurs vivantes
Ils aiment les fleurs fanées les fleurs séchées
Les immortelles et les pensées
Et ils marchent dans la boue des souvenirs dans la boue des regrets
Ils se traînent
A grand-peine
Dans les marécages du passé
Et ils traînent... ils traînent leurs chaînes
Et ils traînent les pieds au pas cadencé...
Ils avancent à grand-peine
Enlisés dans leurs champs-élysées
Et ils chantent à tue-tête la chanson mortuaire
Oui ils chantent
A tue-tête
Mais tout ce qui est mort dans leur tête
Pour rien au monde ils ne voudraient l'enlever
Parce que
Dans leur tête
Pousse la fleur sacrée
La sale maigre petite fleur
La fleur malade
La fleur aigre
La fleur toujours fanée
La fleur personnelle...
...La pensée...

Jacques Prévert

Empreinte du temps
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Commentaires
D
J'aime beaucoup ce que tu nous offres là,<br /> La photo est très particulière, forte (as tu fais un recadrage et des modifications?) et le texte de Prévert va tellement bien avec. <br /> Un bon moment. Merci
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R
Merci! En me baladant, j'ai trouvé ces fleurs sur le chemin, abandonnées par quelque promeneur et il m'a semblé qu'elles voulaient résister au temps, nous montrer leur belle présence...Je n'ai rien modifié, ni recadré, c'était un cadeau de la nature!
G
Quel bel hommage à celles qui nous offrent tant de beauté innocente et fragile, éveilleuses de conscience elles nous rappellent combien la nature est généreuse et si peu rancunière. Admirer et s'émerveiller devient si rare elles en donnent l'occasion à chacun.
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R
Cueillies et abandonnées au sort des piétons et des vélos, mais malgré tout, leur présence nous les rend émouvantes...Bonne journée à toi!
M
Ooops ! des pensées bien maltraitées... heureusement on a l'incontournable Prévert !
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