Neige - Orhan Pamuk
Ce livre, prix Médicis étranger 2005, a contribué à décerner à Orhan Pamuk le prix Nobel de littérature en 2006. Cet auteur turc, vivant la plupart du temps à l'étranger, nous offre une vision de son pays d'origine qui n'est pas sans rappeler l'actualité.
Le narrateur, qui n'est autre que l'écrivain, nous plonge dans l'histoire de Ka, un jeune poète exilé en Allemagne, qui part enquêter, pour le compte d'un journal d'Istanbul, dans une petite ville d'Anatolie, sur le suicide de jeunes femmes portant le foulard. C'est aussi l'occasion pour lui de donner libre cours à sa création poétique en composant un recueil intitulé Neige.
Il loue une chambre dans un hôtel tenu par le père d'Ipek, une jeune femme très belle, récemment divorcée d'un homme acquis désormais à la cause islamiste, et dont Ka a été très amoureux pendant ses études. Lors de son enquête, il est confronté à différents personnages représentatifs de la vie locale, d'autant qu' il assiste dans une pâtisserie à l'assassinat du directeur de l'Ecole normale, justifié par son refus d'accepter en classe les jeunes filles portant le foulard. Ka est une énigme pour les habitants, on ne comprend pas trop sa mission, on ne sait pas trop où il se situe politiquement. C'est une période d'élections, chaque camp défend ses arguments avec vigueur : islamistes, nationalistes kurdes, kémalistes, républicains...Il est interrogé par le chef de la police, a des conversations avec les islamistes radicaux, dont un certain Lazuli, l'amant de la soeur d'Ipek, avec Sunay, un acteur républicain qui veut pratiquer une forme de théâtre d'avant-garde, ainsi que d'autres personnages secondaires.
Un soir, les militaires fomentent un putsch pendant une représentation théâtrale qui se transforme en hécatombe...
Malgré le danger environnant, un seul but anime Ka:obtenir l'amour d'Ipek et fuir avec elle en Allemagne. Au milieu de cette agitation permanente, la poésie et la neige lui apportent l'apaisement nécessaire pour fuir toutes les interrogations d'ordre politique, religieux, identitaire.
Mais le piège dans lequel il se trouve se referme sur lui...
Ce roman extrêmement dense comporte des longueurs, mais il offre une vision de la Turquie d'aujourd'hui : un pays déchiré entre ses identités multiples, entre la tradition encore bien présente et le modèle occidental , condition de son intégration dans l'union européenne. Il nous dit aussi les difficultés de l'être humain à se trouver, à exister par lui-même, loin de l'appartenance à un groupe, à vivre une expérience mystique :
"Dieu, ce n'est pas une question d'intelligence ou de foi, c'est une lucidité rappelant que toute vie est une énigme."
C'est aussi une réflexion sur la condition féminine, sur la création qui apporte à l'homme le recul nécessaire pour s'extraire des difficultés de la vie.
En lisant ce texte, j'ai tout de suite pensé à ce magnifique film de Nuri Bilge Ceylan, Winter sleep, dans lequel la neige, omniprésente, rythme la vie des personnages, elle est beauté, poésie, silence, semble amortir les chocs émotionnels...
Roman réaliste, politique, poétique d'un auteur engagé qui se nourrit aussi de cinéma et de peinture, miroir du monde d'aujourd'hui en pleine quête d'identité.