Parole perdue - Oya Baydar
Après Orhan Pamuk, l'écrivain turc mondialement connu, je découvre Oya Baydar, son aînée d'une dizaine d'années, investie comme lui dans la cause militante.
Parole perdue est son premier roman, paru en 2010. Très dense, il mêle plusieurs thèmes qui offrent au lecteur une meilleure connaissance de la Turquie, par bien des aspects.
C'est l'histoire d'un couple qui a tissé des liens solides au fil du temps, mais dont l'investissement professionnel et politique n' a pas permis de prendre le recul nécessaire pour dresser des bilans. A la cinquantaine, ils ne savent plus très bien où ils en sont : ils se voient rarement et leur fils unique s'est éloigné d'eux , ayant choisi de vivre dans un île scandinave avec son enfant.
Lui, Ömer Eren, a connu le succès avec ses écrits, cependant son inspiration s'est tarie. Il est aussi dans une impasse au niveau de son engagement politique , ce qui fait qu'il n'a plus qu'un désir : partir pour se trouver. Sa femme Elif est chercheuse à l'université; passionnée par son métier, elle partage son temps entre les expériences en laboratoire et les colloques à l'étranger. Son prochain voyage est pour l'Europe du Nord, elle va donc en profiter pour revoir Deniz, ce fils qui n'a pas les mêmes ambitions que ses parents, et tenter de comprendre le sens de son éloignement, de ses valeurs si différentes.
Ce voyage initiatique met très vite Ömer en présence d'une jeune kurde, Zelal, à la gare d'Ankara, lors d'un incident dramatique visant à éliminer cette femme qui a soi-disant sali l'honneur de sa famille.Son compagnon Mahmut, a fui la guérilla kurde, il est poursuivi par le PKK, parti d'indépendance kurde, aux méthodes aussi violentes que celle de l'armée turque.
En poursuivant son chemin vers l'Anatolie, Ömer rencontre la pharmacienne Jihan, femme aussi belle que mystérieuse, dont le mari a été assassiné par l'on ne sait quel parti. Son seul combat est la lutte pour plus de paix et d'humanité.
Face à ces personnes, Ömer comprend que son engagement a été minime, sans risques.
De son côté, Elif arrive en Norvège, dans cette île où Deniz, enfant, avait souhaiter rester pour fuir la violence de la Turquie. Jeune reporter photographe, il a à nouveau côtoyé la violence dans plusieurs pays, ce qui explique son retour dans cette île paisible, le rêve de son enfance, pour y découvrir ce qu'il estime être la vraie vie. Mère et fils tentent de renouer leurs liens.
Ce roman écrit par une ancienne militante, ayant fui la Turquie pour l'Allemagne après avoir été torturée, et qui est revenue au pays de ses racines en 1991, est celui d'une femme engagée, mais lucide, qui a compris que la violence n'est pas le meilleur moyen de régler les problèmes.
Roman politique, il nous informe sur la situation de ce pays, déchiré entre deux cultures où la violence est monnaie courante : celle de la guerre dont même les enfants ne sont pas épargnés, celle que subissent les femmes dans leur asservissement...
Roman philosophique, il nous interpelle sur le sens de la vie, sur celui des responsabilités, de l'engagement politique, de la transmission.
Roman choral, il alterne la parole de la narratrice avec celle des personnages dans un souci de vérité, d'authenticité.
Un livre fort, émouvant, porté par une langue précise qui même l'intime au politique.
A avoir dans sa bibliothèque.