Berthe Morisot , Le secret de la femme en noir - Dominique Bona
Le tableau de Berthe peint par Manet dans les années 70 a fait dire à Paul Valéry, en 1932, lors d'une rétrospective de ses oeuvres à l'Orangerie : "Je ne mets rien, dans l'oeuvre de Manet, au-dessus d'un certain portrait de Berthe Morisot, réalisé en 1872."
Et c'est aussi à Manet que Berthe doit son éclosion d'artiste, ces deux êtres s'étant admirés et influencés, et peut-être même qu'un autre sentiment les a liés tout au long de leur vie.
Il se dégage du tableau une profondeur et un mystère chez cette femme que l'on devine secrète, passionnée. Dominique Bona a tenté par cette biographie, d'aller au-delà des apparences, de creuser au mieux la personnalité de cette femme hors norme dans le contexte politique et social de l'époque.
Berthe Morisot naît en 1841 dans un milieu bourgeois. Son père, préfet, est féru d'art, passionné d'architecture, descendant du peintre Fragonard. Sa mère aime tenir salon tous les jeudis avec les intellectuels. Le couple donne à ses trois filles, Yves, Edma et Berthe une éducation artistique. Seules les deux dernières conserveront le goût de la peinture. Cependant, à l'époque, les écoles de Beaux-Arts sont interdites aux femmes, ce qui implique que les filles Morisot doivent suivre des cours privés auprès de plusieurs peintres de talent.
Pour parfaire leur éducation, elles copient les maîtres au Louvre, en particulier,Velazquez, Goya, Rubens. Edma et Berthe commencent à exposer dans les années 60. Si Edma semble plus douée que Berthe, elle abandonne les pinceaux assez vite pour se marier.
Berthe fait alors la rencontre essentielle de sa vie en 1968, celle d' Edouard Manet.
L'attirance réciproque qu'ils éprouvent fait que Berthe va lui servir de modèle pour une dizaine de portraits, ainsi que pour le célèbre Balcon. Parallèlement, l'élève est séduite par la technique de ce maître qui tente de se débarrasser de l'académisme, tout en restant fidèle au dessin.
Elle avance sur le chemin de la peinture, qui est le seul qui compte dans sa vie. Pourtant, suite aux injonctions de sa mère qui se lamente de la voir célibataire à 30 ans, et aux propositions de plusieurs admirateurs dont Fantin-Latour, Puvis de Chavannes, cette jeune femme énigmatique finit par jeter son dévolu sur le frère d'Edouard, le peintre Eugène Manet. Cette décision lui permet d'entrer dans la famille Manet, Edouard étant déjà marié à une pianiste hollandaise depuis plusieurs années.
Le contexte politique les éloigne pendant la guerre de 1870 tout autant que l'épisode de la Commune sépare les frères Manet, communards, à Degas et ses amis versaillais. La politique ennuie Berthe, une seule chose l'intéresse : la peinture, et son mari l'a bien compris.Lui-même peintre, s'efface devant elle et lui laisse toute liberté pour s'adonner à sa passion qui s'exprime par des oeuvres à l'huile et à l'aquarelle.
A partir de son mariage, en 1874, Manet ne la sollicite plus pour poser. le portrait au bouquet de violettes clôt leur collaboration. Elle aussi va se détacher progressivement de sa technique : aux couleurs sombres qu'affectionne le peintre, elle prèfère les touches plus claires. Berthe parvient à s'imposer , rejoint le groupe des Impressionnistes, se rapproche de Monet dont elle admire la technique. Ce choix la classe comme indépendante, voire marginale, aux yeux de la tradition. Tout comme ses amis, elle est rejetée par la critique, vend peu. Mais la naissance de sa fille Julie l'épanouit pleinement; elle voue à cette enfant un attachement fusionnel, lui donne l'éducation bourgeoise qu'elle a reçue.
Elle la peint à tous les âges , lui inculque le goût de l'art. Renoir, Sisley, Pissarro se joignent aux impressionnistes.
Cette présence forte de sa fille et de ses amis, dont le poète Mallarmé, l'aide à surmonter les deuils qui se succèdent : celui d'Edouard, atteint de syphilis et celui d'Eugène, son mari, dont la santé fragile s'est rapidement détériorée.
Elle ne survit que 3 ans à son mari, emportée par la grippe à l'âge de 54 ans.
Avec une grande finesse d'analyse, Dominique Bona dresse un magnifique portrait de cette artiste qui a marqué l'histoire de l'art, de cette femme libre, indépendante qui est partie en emportant le secret de sa relation avec Edouard Manet, dont on ignore la vraie nature, mais dont on peut supposer qu'elle fut plus qu'amicale (n'a-t-elle pas dit qu'il "valait mieux brûler les lettres d'amour"?). Une femme toute en contrastes, à la fois forte et fragile, tourmentée, mélancolique, réservée, dont le regard profond laisse supposer l'intensité maîtrisée de la passion.
A la manière d'un peintre, l'écrivaine avance par touches subtiles dans la vie et dans l'oeuvre de l'artiste dont elle commente la moindre lumière, le moindre choix du trait et de la matière.
Une grande biographie bien documentée sur un personnage trop tôt disparu, talentueux, exigeant, rebelle, engagé dans le combat de l'art et du féminisme. A avoir dans sa bibliohèque!
Le Musée Marmottan-Monet possède une collection de 80 oeuvres de Berhe Morisot