Anselm, le bruit du temps

Le talentueux Wim Wenders brosse avec ce film le portrait d'une des figures majeures de l'art contemporain : Anselm Kiefer. D'origine allemande, il est à la fois peintre, sculpteur, photographe et plasticien. Etabli en France depuis 1993, il partage avec le cinéaste un amour de la culture française ainsi que beaucoup de souvenirs communs : "Nous sommes nés la même année, en 1945, nous avons joué dans le même fleuve, le Rhin. Nous avons vécu les mêmes silences sur le passé de l'Allemagne. Nous avons éprouvé les mêmes questionnements. Jeune, je voulais être peintre et lui m'a confié avoir voulu devenir cinéaste… »
Face au passé de l'Allemagne, les deux hommes ont réagi différemment : très tôt, Wenders a voulu fuir son pays, pour rejoindre la France, les Etats-Unis, alors que Kiefer est parti plus tard. Il a connu la notoriété en se photographiant dans les zones autrefois occupées d'Europe, en train de faire le salut nazi, avec l'uniforme de son père, ancien officier de la Wehrmacht, : une manière de faire réagir les autres et lui-même sur cet épisode douloureux qui perdure :
« Dans mes premières images, je voulais me poser la question à moi-même : est-ce que je suis fasciste ? C’est une question très grave. On ne peut pas y répondre rapidement. Ce serait trop facile. L’autorité, l’esprit de compétition, le sentiment de supériorité […], tout cela fait partie de ma personnalité comme de celle de n’importe qui. »
L'Histoire, le paysage et la couleur sont essentiels dans l'oeuvre de Kiefer. Il utilise toutes sortes de matière : terre , sable, suie, feuilles de plomb, pour évoquer la destruction, les ruines, celles de la guerre, de la Shoah. Il emprunte aussi ses thèmes d'inspiration aux mythes, à la philosophie. La poésie n'est pas absente de son œuvre, elle devient matériau, rend hommage à ceux qui, par leurs mots, ont voulu lutter contre l'oubli, notamment le poète Paul Celan.
Peintures, sculptures, installations, toutes ont en commun leur gigantisme, à l'image des ses ateliers de Barjac, dans le Gard, puis de Croissy, en Seine-et-Marne, ces anciennes usines qu'il parcourt à vélo.
Images d'archives, évocations du passé, laissées à l'interprétation du spectateur sans que l'artiste vienne donner des explications , rythment le film tout en évoquant "le bruit du temps", et en célébrant sa beauté.
Le choix d'utiliser la 3D pour filmer le travail tout en intériorité de Kiefer renforce son côté monumental, tout en nous faisant mesurer ce qu'il a de profond et de philosophique.
Passionnant et envoûtant!