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Le blog de Ritournelle

Les vies rêvées de la baronne d'Oettingen - Thomas Snégaroff

Ritournelle

 Il y a des femmes du siècle précédent qui ont joué un rôle majeur dans le milieu artistique et littéraire de leur temps .
Je pense en particulier à Gabriële Picabia , réhabilitée par les soeurs Berest, qui a su tout au long de sa vie être une accoucheuse de talents, en reléguant au second plan ses talents de musicienne, pour mieux mettre en lumière les hommes qu'elle a côtoyés.
Thomas Snegaroff nous fait découvrir avec ce roman une femme tout aussi fantasque , passionnée, et avant-gardiste. La façon dont son existence lui a été révélée méritait d'être connue : c'est en héritant d'un bureau de son arrière grand-père imprimeur, Dimitri Snégaroff, qui contenait vraisemblablement des secrets , l'un des  tiroirs étant fermé à clé,  que le journaliste-historien a pu mettre la main sur une énigme familiale. Curieux d'éclaircir ce mystère, il a découvert dans ce tiroir trois tableaux de son aïeul dessinés par la baronne d'Oettingen, ainsi qu'un autoportrait et un manuscrit anonyme L'idée d'entamer une enquête sur le destin de cette femme a donné lieu à ce roman.
Elena Miontchinska naît en Ukraine en 1885 . Sa mère, la comtesse polonaise Miaczinska, lui cache l'identité de son père qu'elle ne connaîtra jamais.
A peine sortie de l'adolescence, Elena rencontre le baron von Oettingen , trentenaire à la belle prestance, qu'elle décide d'épouser pour fuir la tutelle maternelle et la vie provinciale étriquée. Le divorce est prononcé un an plus tard . Elena est libre, et n'a qu'une idée en tête : aller à Paris où se trouve la vraie vie. Mais à 20 ans, voyager seule comporte des risques. Sa famille lui impose la compagnie d'un lointain cousin, le jeune peintre Serge Jastrebzoff, désireux de faire carrière dans la capitale française. C'est le début d'une folle aventure qui les mène en Europe occidentale où la fortune de leurs familles leur donne accès aux milieux artistique et littéraire dont ils rêvaient. Elena apprend la peinture avant d'ouvrir un salon boulevard Raspail où elle accueille artistes et poètes  Grande séductrice , elle n'hésite pas à choquer les hommes qu'elle connaît à peine en leur dévoilant sa nudité. Infidèle en amour, fidèle en amitié. L'argent qui arrive de Russie lui permet de financer l'achat de matériel pour les artistes dans le besoin, notamment Modigliani, qui réalise le portrait figurant sur la jaquette du livre. Elle côtoie également Picasso, Braque, le douanier Rousseau, Survage, avec qui elle a une liaison.
Apollinaire devient l'un de ses grands amis; elle l'aide à financer la revue "Les soirées de Paris", imprimée par Dimitri Snégaroff, dans laquelle figurent tous les artistes de l'avant-garde. Pour la remercier, il lui dédie un calligramme.
La baronne s'invente plusieurs vies; tantôt peintre, tantôt écrivaine, tantôt poétesse, elle se cache sous plusieurs pseudonymes, aime brouiller les pistes avec un goût prononcé pour le mensonge. Son âme slave se manifeste par  des périodes d'effervescence créative auxquelles succèdent des épisodes mélancoliques.
L'exil, la Grande guerre qui lui enlève ses amis, l'abdication du tsar, autant d'événements qui contribuent à diminuer son train de vie et à la plonger dans une tristesse seulement atténuée par la présence fidèle de Serge Jastrebzoff, devenu Serge Férat.
De la lumière à l'ombre : jusqu'en 1950, le reste de sa vie conjugue solitude, pauvreté et maladie.
Thomas Snégaroff fait revivre avec talent  cette personnalité flamboyante, libre, extravagante, généreuse, tour à tour muse, mécène, artiste, écrivaine, figure importante de la bohème de Montparnasse, en lien direct avec son histoire personnelle, puisque son arrière grand-père, figure tutélaire et mythologique de la famille, a été lié à la baronne d'Oettingen.
Un roman captivant , dont l'héroïne, incroyablement libre pour son temps, que son amant italien Soffici qualifie de « l'une de ces femmes désastreuses, de la race des héroïnes des poèmes de Pouchkine , de Lermontov, des romans de Dostoievski et autres écrivains russes »  évoque l"effervescence créatrice du début du 20è siècle.
 

Hélène d'Oettingen-photo Man Ray

Hélène d'Oettingen-photo Man Ray

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Commentaires
C
Voici un livre bien interressant !
Répondre
R
J'ai pris plaisir à le lire parce que ces destins de femmes libres, hors norme, très en avance sur leur temps et passionnées d'art, ainsi que de littérature, sont incroyablement modernes.<br />