Madame de Sévigné

Ritournelle

01 mars 2024

L'enjeu de ce film pour Isabelle Brocard était de rendre hommage à une référence de la littérature française du 17 e , et en même temps d'interroger le rapport mère-fille, puisque Madame de Sévigné s'est rendue célèbre par les nombreuses lettres adressées à sa fille tout au long de sa vie.
Un projet ambitieux, avec un tournage en costumes d'époque, une atmosphère qui doit refléter la condition des femmes dans le milieu privilégié de la noblesse , ce lien fusionnel d'une mère et de sa fille, tout en faisant exister cette écriture célèbre.
Le besoin d'écrire commence pour la marquise avec la séparation , le 4 février 1671, lorsque sa fille, Françoise, épouse le Comte de Grignan, et part vivre avec lui dans la Drôme. Elle invente une manière d'écrire, une manière d'aimer. L'amour des mots se conjugue à l'amour de sa fille. Elle bâtit un cocon qui abrite cet amour et doit rester privé. "Quand je vous écris, je ne veux pas être dans les mains de tout le monde".
De son côté, Françoise de Grignan, fille à la fois admirative et rebelle, répond à sa mère, l'échange se fait au rythme de deux lettres chacune par semaine, pendant 25 ans, soit un total d'à peu près 700 lettres.
Si la marquise voulait sa fille heureuse, indépendante et maîtresse de sa destinée, en évitant qu'elle devienne la maîtresse du roi, elle est loin d'imaginer que celle-ci va aimer son mari , lui devenir soumise en enchaînant les grossesses. Le désespoir de la marquise s'exprime dans ses lettres, elle qui la voulait à son image, ne comprend pas que Françoise ait des aspirations différentes des siennes...
Isabelle Brocard restitue avec talent le contexte du "Grand Siècle" en soulignant l'extrême pauvreté des campagnes opposée aux fastes de la vie parisienne, elle fait émerger les débuts de l'émancipation féminine avec la naissance des premiers salons littéraires, dont celui de Madame de Lafayette, amie de la Marquise. Et surtout, elle interroge aussi, dans son intemporalité, le difficile rapport mère-fille, fait d'admiration autant que de rejet .
La caméra filme superbement les décors extérieurs en lumière naturelle, autant que les scènes d'intérieur dans des clairs-obscurs qui font penser à des tableaux du 17 e. L'interprétation brillante de Karin Viard et d'Ana Girardot donne toute sa saveur à ce duo complexe et passionné qui relègue au second plan la dimension littéraire du film, ce qui incite à lire ou relire les écrits de la Marquise et à creuser davantage sa personnalité énigmatique.
Il m'a seulement manqué un peu plus de rythme dans la mise en scène pour apprécier pleinement cette œuvre exigeante aux nombreuses qualités.