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Le blog de Ritournelle

Qu'en est-il de l'autorité aujourd'hui?

Ritournelle

Obéir à papa et à maman ?

L'idée d'autorité ne remonte pas seulement à l'Antiquité, elle est une expérience première inscrite dans la condition humaine. Enfants, nous naissons dans la dépendance de nos parents qui sont « les auteurs «  de notre vie. Or, ce qui brouille dès le départ cette expérience réside dans le fait que les parents confondent en leur personne l'instance qui incarne l'autorité et le premier objet d'amour. Au risque de nous faire durablement confondre les deux. C'est là que gît l'un des dangers les plus obscurs de l'autorité : celui de secréter, plus que l'obéissance , le désir d'être dominé, ce que La Boétie appelait « la servitude volontaire ».N'est-ce pas, comme il le montre, l'amour du tyran qui fait que les hommes sont parfois disposés à lui sacrifier plus que leurs biens et leurs intérêts, leur vie même ?
En deçà de la dimension politique, c'est la question que soulèvent Freud et Lacan avec le complexe d'Oedipe:dans le triangle familial, le père incarne devant l'enfant à la fois l'objet aimé par la mère, celui auquel il est amené à s'identifier pour donner forme à son désir, et le porteur de la loi, le castrateur, celui qui lui interdit d'aimer la mère. Comment ne pas confondre les deux ? Grâce à la mère, répond Lacan, que l'on a pourtant souvent accusé de paternalisme et d'autoritarisme.
Selon lui, le devenir du Sujet tient au fait que la mère accrédite l'autorité dont le père se prévaut , ce qu'il appelle –
le Nom du père – en jouant sur l'ambivalence sonore du terme, à la fois interdiction (non) et accès au accès au symbolique (le nom qui inscrit chacun dans une généalogie et dans le langage).
Pour Lacan, il conviendrait de s'occuper du cas que la mère fait de la parole du père, autrement dit de la place qu'elle réserve au Nom du père dans la promotion de la loi.
Si nous avons pris des distances avec l'idée d'un ordre symbolique où les fonctions du père et de la mère seraient préréglées, la leçon générale continue de porter. Pour devenir un Sujet, capable d'articuler son désir dans le langage, il faut avoir appris à distinguer le registre de la loi et du symbolique de l'instance qui en est le garant devant nous.

 

De la déconstruction à la culture start-up

L'autorité s'est longtemps présentée devant nous sous les traits de sa critique et de sa crise.
Après les désastres totalitaires du XXè siècle et la révolte de la jeunesse dans les années 60, une déconstruction de toutes les figures bourgeoises de l'autorité, du père au patron, s'était opérée. Les sources classiques de l'autorité – tradition, passé, âge, expertise, expérience – ont toutes été remises en cause : parce qu'elles n'avaient pas empêché les dérives autoritaires et qu'elle faisaient de l'ombre à la liberté individuelle. Où en sommes-nous aujourd'hui ?

Certains voient dans la culture start-up qui triomphe en économie et en politique, le satde ultime de l'anti-autoritarisme. Les mouvements remplacent les vieux partis hiérarchiques ; les plus grandes firmes envoient leurs cadres dans des micro-entreprises créees par des post-adolescents et se rêvent en « entreprises libérées ». En réalité, il se pourrait bien que cette culture start-up recycle une forme d'autorité, voire d'autoritarisme typique de la modernité : celui du pouvoir révolutionnaire, celui du parti ou de l'Etat, qui brandit sa connaissance du futur pour gouverner les hommes au présent.
Google et Facebook héritiers du parti d'avant-garde léniniste ? L'hypothèse mérite d'être creusée.
Steve Jobs, Elon Musk aujourd'hui, agissent en patrons tout-puissants. Le cas d'Evan Spiegel, créateur de Snapchat, application de photos et de vidéos est encore plus éloquent. Non content d'avoir d'avoir introduit sa société en Bourse pour une valeur de 28 milliards de dollars, cet entrepreneur de 27 ans a imposé aux investisseurs d'acheter ses actions sans droit de vote, ce qui signifie qu'il garde le contrôle total sur son entreprise. Des conditions léonines absolument sans précédent pour une opération de cette taille et un patron aussi jeune et inexpérimenté.
Au même moment, on ne parle plus dans le monde de l'entreprise que de
reverse mentoring, le parrainage des vieux par les jeunes, et de shadow comex, la formation par de jeunes cadres de comités exécutifs fantômes qui doublent les comités exécutifs réels au nom de leur accointance avec la culture digitale. Loin de rejeter l'autorité, ceux que l'on nomme les « Millenials »(nés après 2000), s'en emparent au nom du « nouveau monde », imposent leurs règles et déclassent les seniors, mais aussi les quadras. Une stratégie autoritaire dont Emmanuel Macron vient de démontrer la portée en politique. L'autorité aurait-elle changé de grammaire temporelle ? Même si ces tendances demeurent exceptionnelles, on peut penser qu'une nouvelle forme de l'autorité se cherche dans la vie sociale, qui aurait intégré les critiques de l'autoritarisme aussi bien que les limites de sa déconstruction.
 

Le nouvel âge de l'empowerment

Dans Une folle solitude, le philosophe Olivier Rey avait relevé ce fait , en apparence anodin : l'inversion du sens des poussettes pour enfants. Alors que pendant longtemps, l'enfant y était placé dans un face-à-face avec l'adulte, voici qu'était venu le temps de l'autonomie où il était propulsé dans une confrontation directe et solitaire avec le monde. Olivier Rey voyait dans ce changement une croyance illusoire dans la capacité de l'individu à se construire tout seul, le fantasme de l'homme auto-construit. La redéfinition de l'autorité qui se cherche dans notre temps est peut-être le signe que nous sommes en train de revenir de cette illusion.
L'autorité est « ce qui augmente » affirmait Hannh Arendt. On pourrait donner un sens très concret à cette augmentation. Soit le fait que l'on a besoin de se confier à plus grand que soi pour développer ses capacités.
La bonne autorité écrit le philosophe P.H Tavoillot, celle que nous cherchons avidement à l'âge démocratique est celle qui fait grandir, à la fois celui qui l'exerce et celui qui s'y soumet. Dans le monde anglo-saxon,on appelle cela l'empowerment.
On pourrait le traduire par « autorisation » au sens de la métamorphose d'un individu en un auteur.
Dans une classe, dans une entreprise, à l'échelle d'une nation, c'est devenu le critère décisif pour ceux qui assument une position d'autorité : faire la preuve de leur réelle utilité auprès de ceux qu'ils dirigent. Au-delà de la capacité à incarner un rôle social, l'autorité serait alors le pouvoir de faire surgir chez ceux à qui l'on commande des compétences nouvelles, de les augmenter pour les faire devenir des auteurs. A charge pour eux de consentir à être affectés, dirigés et augmentés par ceux qui les dirigent. Loin d'être clos, l'âge de l'autorité ne ferait alors que commencer.


 Philosophie magazine n° sept. 2017 - Extrait du dossier A quoi tient l'autorité?

 

 

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Commentaires
M
Sujet très intéressant. Le rôle parental est devenu une «entreprise» difficile, complexe et souvent épuisante. Jongler avec les obligations personnelles, professionnelles et familiales tout en faisant face à un monde en mutation et à un isolement social accru : tout cela conduit à une détérioration progressive de l'autorité. Les parents d'aujourd'hui ont souvent le sentiment qu'ils ne peuvent plus agir et réagir efficacement au comportement négatif de leurs enfants. Les parents d'enfants ayant de graves problèmes de comportement se considèrent souvent comme ayant moins de pouvoir que l'enfant, croient que rien ne peut marcher et se sentent vaincus à l'avance lorsqu'il s'agit de revendications ou d'affrontements. De plus, les parents se retrouvent souvent blâmés, directement ou indirectement, pour leur incapacité à limiter ou à arrêter le comportement négatif de leurs enfants. Dur dur je trouve...
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R
Oui, je suis persuadée que l'éducation des enfants reste un des gros problèmes d'aujourd'hui, ce qui ne veut pas dire qu'il faille baisser les bras...La recherche des limites est constante pour l'enfant,et déjà très tôt, il faut les lui donner, c'est le seul moyen de ne pas être débordé, mais je suis d'accord que c'est difficile dans le contexte actuel.<br /> Merci pour votre commentaire
T
Il est interdit d'interdire.
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G
Merci du vôtre. Bonne continuation.