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Le blog de Ritournelle

Peut-on être libre?

Ritournelle

L'idée que la liberté puisse être une valeur précieuse a commencé à germer avec la philosophe humaniste du 16ème siècle, en particulier avec Montaigne qui insiste sur la dignité de l'homme, sur les droits fondamentaux de l'individu. Dans une société de destin, où chacun est appelé à marcher sur les traces de ses pères et pairs, où le fils de paysan l'est forcément aussi, où l'on se transmet la boutique familiale, où les parents choisissent les futurs conjoints de leurs enfants, la question de la liberté est très secondaire. Elle cesse de l'être quand les hommes eux-mêmes se pensent en tant qu'individus. C'est la philosophe dite "des Lumières", un siècle plus tard, qui la met réellement à l'honneur. Pour des penseurs comme Kant, Spinoza, Voltaire, Diderot, Montesquieu, Sade, (qui passa 27 ans enfermé entre prison et asile de fous), il s'agit de libérer l'esprit humain de l'obscurantisme, de la superstition, du poids du religieux. Pour la première fois, il devient possible d'envisager l'humanité dotée d'un libre arbitre affranchi du poids des traditions.
Mais qu'est-ce que la liberté? Ne suivre que notre instinct, réaliser nos fantasmes et s'affranchir des interdits? Changer d'orientation professionnelle à 50 ans? Ne plus être déterminé par notre histoire familiale et notre inconscient? Beaucoup d'entre nous ont été cloués sur place, en cours de philosophie de terminale par cette phrase de J.P. Sartre : "Nous n'avons jamais été aussi libres que sous l'Occupation": le mystère s'éclaire par la suite du propos : "Puisque nous étions traqués, chacun de nos gestes avait le poids d'un engagement. Nous pouvions résister, nous rebeller, ou nous taire. Personne n'était là pour nous indiquer la voie à suivre."
Nous sommes nos propres ennemis
Sartre incite chacun de nous à se questionner sur lui-même :"Comment puis-je vivre plus en conformité avec l'être que je suis? C'est que le premier effort à accomplir pour devenir acteurs de nos vies est de quitter la position de victimes. Pour la psychologie également, tout individu est potentiellement libre de choisir ce qui est bon ou mauvais pour lui. Et, finalement, notre pire ennemi c'est nous-mêmes. En nous répétant "tu dois", "il faut" - comme probablement nos parents nous l'ont seriné, en nous culpabilisant de trahir leurs attentes - nous nous empêchons de découvrir nos vraies possibilités. Si nous ne sommes pas responsables des blessures subies dans l'enfance, et dont le souvenir traumatique nous emprisonne, nos sommes responsables des pensées et des images qui surgissent en nous quand nous les évoquons.
Vrai aussi, "tout n'est pas dans la tête", nos parents, nos partenaires amoureux peuvent être des tyrans, notre patron peut être vraiment injuste et stressant, il serait effectivement plus agréable que notre entourage nous laisse être nous-mêmes, que notre vie professionnelle permette à notre potentiel créateur de s'exprimer. mais cela ne peut être toujours le cas. En revanche, nous sommes libres d'inventer des stratégies pour nous arranger avec ce réel frustrant.
Notre vie professionnelle nous révolte? Nous pouvons nous engager en politique, militer, par exemple. Créer un ranch en Amérique? Ouvrir un restaurant en Thaïlande? Pourquoi ne pas écouter nos rêves? Nos désirs engendrent des pensées motrices, qui donnent souvent la force de réaliser ce que les autres disent impossible. Ce qui ne signifie pas que la vie est facile. Pour une femme qui élève seule ses enfants, le simple fait de se libérer le soir pour assister à un cours de yoga tient parfois de l'exploit. Mais nos désirs, le plaisir qu'ils nous procurent, nous donnent des forces. Le souvenir du bien-être ressenti grâce au yoga mobilise l'énergie nécessaire pour trouver une garde d'enfants, ressortir dans le froid.
Composer avec nos désirs :
En psychologie ou en psychanalyse, quand nous sous sentons bloqués dans nos envies, nos projets, la question à se poser est : "Qu'est-ce qui m'en empêche?". Mais la théorie psychanalytique reste réservée sur les conditions de notre liberté. Sans doute parce qu'elle a été inventée par un penseur très pessimiste. Là où la philosophie et la psychologie voient en l'homme un être disposant de son libre arbitre, capable de trouver le chemin de la liberté s'il cesse de se laisser submerger par des raisonnements dysfonctionnels, la psychanalyse repère surtout des forces d'opposition.
Dans Le Malaise dans la culture, Freud explique comment nous sommes cernés d'ennemis. Notre inconscient, d'abord, qui détermine nos actes et nos pensées à notre insu; puis le surmoi, juge extérieur qui nous accable de reproches dès que nos désirs s'opposent à la morale; le ça, enfin, qui exige des satisfactions immédiates. Le pauvre "moi" n'est pas le maître dans sa propre maison, constate ainsi Freud en 1930. Et il y a nos semblables...Pour cohabiter, nos sommes contraints de réfréner nos envies, d'où les symptômes névrotiques. Dès le début du XXème siècle, Freud avait constaté que les douleurs corporelles de ses patientes traduisaient les désirs qu'elles ne s'autorisaient pas à exprimer. Pour acquérir davantage d'autonomie, il ne s'agit pas d'inviter chacun à satisfaire toutes ses envies sans se soucier des autres, mais d'apprendre à s'arranger d'une façon moins douloureuse avec ses désirs. Il ne s'agit pas de renoncer à soi, mais de savoir l'être, sans souffrance inutile. Une forme de liberté, adaptée à la vie en société, en somme.

Extrait de l'article "Sommes-nous libres d'être libres?"- I. Taubes - Psychologies magazine n°fév.2019
 

 

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Commentaires
C
Très intéressant à parcourir....<br /> un jeudi ici avec ciel bleu et soleil.......
Répondre
R
Il y a des vérités bonnes à entendre dans cet article, qui aident à la compréhension de soi et des autres.<br /> Bonne soirée!
C
Voila un article à relire de temps en temps !
Répondre
R
Oui, vaste sujet que la liberté! Elle garantit la connaissance de soi, mais c'est un long chemin semé d'embûches...Et quelquefois, on a du mal à s'y retrouver dans notre labyrinthe personnel !