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Le blog de Ritournelle

Boussole - Mathias Enard

Ritournelle
Boussole - Mathias Enard

Il est difficile de parler de ce roman qui a marqué la rentrée littéraire, tant il est dense, érudit.
Mathias Enard est un homme de voyages, il s'est imprégné de beaucoup de cultures, celles du sud et de l'Orient. Il confie au personnage principal de son livre, Franz Ritter, la mission d'évoquer avec délice ce"bouillon de culture". Lors d'une nuit d'insomnie, ce musicologue viennois, est en proie à l'angoisse de la maladie ; dans l'attente de résultats médicaux, il se remémore tous les chemins qui l'ont conduit vers l'Orient et aussi vers Sarah, cette jeune archéologue avec qui il a partagé de nombreuses émotions en Syrie, Irak, Iran, émotions d'autant plus fortes qu'elles ne peuvent se renouveler aujourd'hui pour deux raisons : la situation dans ces pays est désastreuse et Sarah s'est éloignée. C'est un peu comme si son amour déçu était l'image-même de cet Orient qu'il aime tant, mais n'est plus en capacité de l'accueillir.
Que va-ton chercher en Orient? Pour l'aventurière Anne-Marie Schwartzenbach , "c'est une quête psychologique, une recherche mystique sans dieu, sans transcendance autre que les tréfonds du soi." Comme l'affirme Franz, c'est en premier lieu la quête de soi à travers l'autre qui attire le voyageur :"L'exploration avide d'autrui ouvre les remparts du soi."
Et nombreux ont été ceux dont la boussole s'est orientée vers l'Est : aventuriers, écrivains, musiciens.: « Tous ces grands hommes, affirme-t-il, utilisent ce qui leur vient de l'Autre pour modifier le Soi, pour l'abâtardir, car le génie veut la bâtardise, l'utilisation de procédés extérieurs pour ébranler la dictature du chant d'église et de l'harmonie. »
L'Orient, c'est aussi l'énigme de la religion à travers cet appel à la prière : Allah Akbar :
"Il fallait que je parte, il fallait que je découvre ce qu'il y avait derrière ce voile, l'origine de ce chant." Et devant la violence d'aujourd'hui, Franz n'est plus que déchirement devant le terrorisme aveugle de l'extrêmisme qui dévie les vraies valeurs et brise les souvenirs:
« …impossible, à Paris en 1999, devant une coupe de champagne, de s’imaginer que la Syrie allait être dévastée par la pire violence, que le souk d’Alep allait brûler, le minaret de la mosquée des Omeyyades s’effondrer, tant d’amis mourir ou être contraints à l’exil ; impossible même aujourd’hui d’imaginer l’ampleur de ces dégâts, l’envergure de cette douleur depuis un appartement viennois confortable et silencieux. ».
"Il est étrange de penser qu'aujourd'hui en Europe, on pose si facilement le nom de "musulman" sur tous ceux qui portent un patronyme d'origine arabe ou turc : la violence des identités imposées."
On se laisse emporter dans l'Histoire et dans le temps à la rencontre de ceux qui ont été fascinés par l'Orient : Flaubert, Goethe, Rimbaud, Mozart, Liszt et tant d'autres, comme cette aventurière bayonnaise, Marga d'Andurain, qui tint à Palmyre, de 1927 à 1936, un hôtel qu'elle appela Zénobie en hommage à la reine du 3è siècle. Pour cette femme, l'Orient était symbole de sexualité et de violence. Cependant la violence, a été aussi celle des archéologues européens, qui parallèlement à leur soif de connaissance, pratiquaient des pillages.
Boussole est le livre d'une passion, un vibrant hommage à cet Orient, objet de tous les fantasmes et source d'inspiration, qui hélas, vit actuellement des épisodes douloureux, mais qui ne doivent pas cacher l'espoir, la lumière du soleil qui se lève à l'Est:
« …il faut tout voir à travers les bésicles de l’espoir, chérir l’autre en soi, le reconnaître, aimer ce chant qui est tous les chants, depuis les Chants de l’aube des trouvères, de Schumann et tous les ghazals de la création, on est toujours surpris par ce qui toujours vient, la réponse du temps, la souffrance, la compassion et la mort ; le jour, qui n’en finit pas de se lever ; l’Orient des lumières, l’Est, la direction de la boussole et de l’Archange empourpré, on est surpris par le marbre du Monde veiné de souffrances et d’amour, au point du jour, allez, il n’y a pas de honte à se laisser aller aux sentiments … et au tiède soleil de l’espérance."
Un très beau livre, à déguster lentement et à conserver dans sa bibliothèque!

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