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Le blog de Ritournelle

L'indolente - Françoise Cloarec

Ritournelle

L’indolente, c’est un tableau de Pierre Bonnard qui désigne sa compagne avec qui il a vécu de 1893 à 1942, celle qui fut sa principale muse. Françoise Cloarec est psychanalyste, peintre et écrivaine. Après avoir écrit la biographie de Séraphine de Senlis, merveilleusement interprétée au cinéma par Yolande Moreau, elle a voulu cerner le mystère d’un autre personnage hors norme, Marthe Bonnard , cette femme qui s’est trouvée sur le chemin du peintre après que sa cousine ait refusé de l’épouser.
En 1893, Bonnard a 26 ans. Dans une rue de Paris, la silhouette de Marthe l’interpelle : elle est jeune, belle, et sans doute plus que ça. Elle avoue avoir 16 ans, être orpheline, s’appeler Marthe de Méligny. En fait, cette jeune ouvrière d’un atelier de fleurs artificielles se nomme Maria Boursin , a 24 ans, n’est pas seule au monde ; elle a une mère et des frères et sœurs qu’elle a quittés pour fuir la misère, la vie étriquée de province. Avec Bonnard, c’est une nouvelle vie qui s’offre à elle ; elle quitte son logement et son travail pour cet amour tout neuf ; lui vit de sa peinture, après avoir bravé l’autorité paternelle qui s’opposait à ce choix. Tous deux sont follement amoureux , ils fréquentent le milieu intellectuel et artistique, le groupe des nabis avec Denis, Sérusier, Vuillard, Vallotton, dont Bonnard s’éloigne ensuite pour laisser libre cours à sa créativité . Dans cet univers gravitent aussi Misia, muse du Tout -Paris et son mari Thadée Natanson, intellectuel passionné d’art. Mais les mondanités n’intéressent pas vraiment Marthe, elle s’y sent mal à l’aise, préfère la solitude avec Pierre. De plus, elle a une santé fragile, a des crises d’asthme fréquentes. Le couple vit de façon fusionnelle, s’épanouit dans la sensualité, fait de la peinture son unique préoccupation. Elle pose pour lui, sans se lasser , dans toutes les pièces de la maison. En 1927, ils s’installent au soleil du midi au Cannet, voyagent en France pour permettre à Marthe de faire des cures dans les stations thermales. Pierre, quant à lui, parcourt le monde pour la peinture, quelquefois seul ,ou avec d’autres peintres, mais aussi avec Renée Monchaty, l’un de ses modèles dont Marthe est jalouse. Renée se suicide un mois après le mariage de Pierre et Marthe. A l’occasion des noces, Pierre voit bien que Marthe s’appelle Maria, mais quelle incidence ? Ils continuent à partager le quotidien comme avant. L’art reste une occupation à plein temps, Marthe se risque à produire elle aussi des pastels, fait quelques expositions qui ont un certain succès. Mais sa santé se détériore peu à peu, elle décède en 1942 , lui, 5 ans plus tard. C’est alors que la succession permet de dévoiler la véritable identité de Marthe : ses nièces  se disputent l’héritage avec les neveux du peintre, un procès qui va durer une dizaine d’années.
Entre enquête et fiction, ce roman-documentaire est intéressant à plus d’un titre :
D’abord, il nous fait pénétrer dans l’univers de la peinture.La peintre  Françoise Cloarec s’attache à apporter des précisions sur la technique de Bonnard : l’utilisation d’une palette vive dans laquelle prédominent les jaunes, l’habitude de ne pas travailler sur châssis , mais d’accrocher les toiles sur les murs et de les découper ensuite au format désiré.
De Marthe , Bonnard connaît bien le corps, qu’il représente souvent dans sa nudité, plus vigoureux que dans la réalité, mais il garde son visage secret, comme si le désir de comprendre cette femme qui a joué la dissimulation toute sa vie, était sa grande préoccupation.
D’où l’interrogation de la psychanalyste sur l’oeuvre du peintre : Qu’a-t-il voulu montrer et qu’a-t-il voulu cacher ? A-t-il autant peint pour savoir qui était vraiment sa compagne ?
On progresse dans ces interrogations à partir des quelques témoignages et documents que F.C a recueillis et on se laisse emporter par les hypothèses qu’elle émet pour cerner cette personnalité tantôt fragile et attachante, tantôt farouche et difficile.

 

« Bonnard a révolutionné l’art en mettant sa femme sous nos yeux, une femme qui ne voulait rien dire d’elle. Il semble chercher, à chaque tableau, quelque chose qui lui est dérobé. Pendant cinquante ans, Marthe partout, avec un chapeau nue, à demi déshabillée, caressant son chien, au miroir, en jupon, aux bas noirs, sur une chaise, accoudée à une table, alanguie sur un lit, oisive dans un fauteuil, appliquée à se laver. Elle est dans toutes les pièces de la maison,couchée, debout, penchée, la tête inclinée, parlant, lisant, brodant, cambrée, la tête en arrière, pieds nus ou chaussés. Elle est visible et impalpable. Bonnard l’a habillée de son fantasme, de sa perception. »

 

Sans le savoir, l'artiste et sa muse, par  leur négligence sont à l’origine d’une nouvelle loi de 1959 sur les œuvres d’art, suite au long procès de leur succession. :

 

"En cas de décès de l’artiste survenu avant la liquidation, les œuvres sur lesquelles leur auteur a jusqu’à sa mort réservé l’exercice du droit de divulgation ne son pas intégrées dans la masse partageable. Il s’ensuit que seules présentent le caractère de biens communs les œuvres que l’artiste a, de son vivant, désignées pour être communiquées au public et que ce caractère se trouve fixé une fois pour toutes à la date de la dissolution de la communauté."

 

Ce livre est aussi un témoignage d’époque, une tentative de comprendre une œuvre à partir d’un contexte qui fait se croiser peinture et psychanalyse et c’est aussi bien sûr, une invitation à revoir les tableaux de l'un de nos plus grands peintres.

L'indolente - Françoise Cloarec
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L'indolente - Françoise Cloarec
L'indolente - Françoise Cloarec
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Commentaires
C
Intéressante cette histoire...que je ne connaissais pas..<br /> Une vie avec ses mystères et ses interrogations.........
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G
Etonnante femme. Il faut un certain sang-froid pour vivre si longtemps dans le mensonge.Mais effectivement peut-être Bonnard savait-il.....
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R
Ou préférait-il ne pas savoir et garder le mystère...