Ces auteurs qui célèbrent la nature -2 Sylvain Tesson - Sur les chemins noirs

Ritournelle

16 juin 2018

Il était logique que la lecture d'Henry Thoreau me conduise à l'avant-dernier livre de Sylvain Tesson. Car cet amoureux de la Nature ne cesse de partir à la découverte de nouveaux lieux, de se mettre en danger en escaladant les plus hauts sommets. Mais suite à son accident dû à une soirée trop arrosée, il s'est retrouvé cloué sur un lit d'hôpital à devoir occuper son temps d'une autre manière. C'est ainsi qu'une émission de télé dans laquelle il était question de ces fameux rapports sur l'hyper-ruralité demandés par des gouvernements successifs, a réveillé ses appétits de balade; dans ces rapports, il s'agissait de répertorier toutes ces campagnes isolées, arriérées, qui ne sont pas traversées par des nationales et dont les seules voies de communication sont des chemins empruntés par les paysans. Ces chemins sont représentés par des traits noirs sur les cartes IGN. Alors Sylvain Tesson a eu l'idée de "demander aux chemins ce que les tapis roulants étaient censés lui rendre : des forces. D'août à novembre 2015, il entreprend de parcourir ces zones rurales, du Mercantour au Cotentin, en passant par la Provence, le Massif Central, les pays de Loire.
Il nous entraîne dans cette aventure au gré de sa marche, de ses observations du relief, de la faune et de la flore qui changent et s'adaptent à la géologie. Beaucoup de nuits passées à la belle étoile, quelques rencontres avec des gens simples, quelquefois un peu sauvages, et surtout la jouissance de pénétrer dans des territoires où le touriste ne s'aventure jamais. Ce sentiment de liberté incite l'esprit à s'animer autant que le corps et à se demander si ces zones ne sont pas l'ultime refuge pour se préserver d'une société qui veut aller toujours plus vite, refuser la mondialisation, l'hyper-connexion. Que gagneraient ces campagnes à être reliées à l'internet? La qualité des cultures n'est-elle pas plus importante que toute cette modernité? En ce sens, Tesson rejoint Cocteau qui, dans les années 50, proclamait "Il est possible que le progrès soit le développement d'une erreur".
Mais le propos du livre n'est pas de donner des leçons, simplement de donner son avis en laissant à chacun la possibilité du choix.

"Napoléon avait dit au général de Caulaincourt dans le traîneau qui les ramenait à Paris après le passage de la Berezina : Il y a deux sortes d'hommes, ceux qui commandent et ceux qui obéissent. Du temps où je m'étais passionnément intéressé à l'Empire, jusqu'à prendre mon bain coiffé d'un bicorne, j'avais trouvé cette phrase définitive. Aujourd'hui, tordant mes chaussettes sur un banc de vase du Var, je pensais que l'Empereur avait oublié une troisième colonne : les hommes qui fuient. Sire, lui aurais-je dit, si je l'avais connu," Fuir, c'est commander! C'est au moins commander au destin de n'avoir aucune prise sur vous."

A la fin du périple,malgré les douleurs, les forces sont revenues , la beauté des paysages est un cadeau inestimable :

"Je demeurai ce soir-là assis sur un banc de pierre contre le mur d'une maison, devant les prés salés. Au nord, la brume gazeuse de la mer et du ciel. Au sud, une lumière de tableau italien. C'était le moment de faire mes dévotions à la marche, à ma mue, à ma chance."

Et comment ne pas en arriver à ce constat :" Le passé m'oblige, le présent me guérit, je me fous de l'avenir."

Voilà encore un grand plaisir de lecture, une leçon de courage animée par la passion de l'aventure, la curiosité, le savoir, avec cette pointe d'humour toujours présente, ce regard philosophique et poétique qui signent la prose de Sylvain Tesson.