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Le blog de Ritournelle

Douleur - Zeruya Shalev

Ritournelle

Zeruya Shalev est une écrivaine israélienne qui a été victime d'un attentat en 2004. Il lui a fallu une dizaine d'années pour dépasser ce traumatisme, raison pour laquelle son héroïne, Iris , a elle aussi tenté de se reconstruire pendant ce même laps de temps après avoir été blessée par l'explosion d'un bus qu'elle tentait de doubler en amenant ses enfants à l'école.
Mais lorsque son mari lui demande "Tu te souviens de quel jour on est aujourd'hui?", voilà que ressurgissent toutes ses douleurs : bien sûr, d'abord, celle de ses membres meurtris, de sa beauté enfuie, de ses interminables séjours en hôpital; et voilà que la douleur pénètre à nouveau son corps avec violence, l'obligeant à se faire soigner, ce qui lui donne l'occasion de revoir son premier amour, Ethan, devenu  médecin. Surgit alors une autre douleur, celle de leur rupture lorsqu'à 17 ans, il décida de l'abandonner lâchement , après une relation passionnée. Sous le choc de cette rencontre, Iris ne sait plus où elle en est. Elle avait oublié Ethan en choisissant d'épouser Micky, un homme plus fiable, dont elle a eu deux enfants, Omer et Alma. Mais le couple ne connaît pas l'harmonie parfaite et depuis l'attentat, Alma est déstabilisée. Pourtant, Iris, directrice d'école compétente qui pense savoir gérer sa vie professionnelle comme sa vie de famille, connaît là son plus grand échec lorsqu'elle qu'elle découvre qu'Alma est sous l'emprise d'un gourou.
Face à ces événement imprévus, elle se retrouve devant des choix difficiles : doit-elle donner une suite à sa passion de jeunesse pour fuir un présent non satisfaisant, sauver sa fille en réapprenant à communiquer avec elle, mais ces deux projets sont-ils compatibles? A ce stade de la réflexion, la culpabilité s'immisce dans l'esprit d'Iris : sauver Alma est sa priorité car l'aider , c'est la faire naître une seconde fois : en tant que mère, elle se doit "de donner et redonner la vie".
La culpabilité intervient aussi chez les enfants au sujet de l'accident, chacun estime qu'il a sa part de responsabilité, sans que la haine émerge par rapport à une situation politique qui influe au quotidien dans leurs vies. Iris a elle aussi été  marquée très jeune par la perte de son père à la guerre.
Voilà un roman foisonnant qui pose beaucoup de questions : comment la rencontre avec un premier amour influe sur la vie intime et sur la relation avec la famille, est-il possible d'oublier les drames, de pardonner, de réparer des erreurs, de se laisser aller à ses rêves?
Avec une étude psychologique remarquablement fouillée de son héroïne, Zeruya Shalev nous parle de nos doutes, de nos chemins de vie tortueux, parfois angoissants, où l'on se retrouve écartelé entre plusieurs possibilités, où force et fragilité se combinent, où la douleur peut être considérée comme une invitation à la réflexion.
Un récit palpitant, que l'on ne lâche pas, empreint d'une grande sensibilité, à portée universelle.
Je recommande vivement ce roman.

"La douleur serait donc un processus de défense, lui répète Micky tandis qu’ils roulent sur la voie sinueuse vers le haut de la colline. D’une manière générale, le système nerveux produit une douleur pour prévenir que quelque chose ne va pas dans l’organisme, mais s’il est lésé, il agit comme le détecteur de fumée qui continue à sonner après que le feu a été éteint. Tu as compris, c’est passionnant ! Il a même dit que, parfois, c’est la guérison qui engendre le problème. Le nerf blessé qui guérit se réveille et commence à émettre des signaux de détresse. Ça s’appelle une douleur post-traumatique.
-Je suis contente que ça t’enthousiasme autant, susurre-t-elle, parce que moi, ça me déprime. "

" Oui, pourquoi n’avait-il pas emmené les enfants à l’école ce matin-là, comme d’habitude ? Elle se souvient d’un coup de téléphone affolé du bureau, une panne informatique, tout le système qui avait planté. Dire qu’il avait insisté pour les conduire quand même ! Mais Omer n’était pas encore habillé, il sautait en pyjama sur leur grand lit, alors elle avait préféré s’épargner les heurts et les remontrances, « laisse, je vais les conduire », avait-elle proposé, ce qui n’avait bien sûr évité ni la rituelle bagarre du matin – le garçon s’était enfermé dans les toilettes et refusait d’en sortir –, ni les larmes d’Alma qui serait en retard à cause de lui. Déjà épuisée, elle les avait déposés devant le portail de l’école, de là, elle avait accéléré pour remonter la rue bruyante, avait dépassé un bus arrêté à sa station, et soudain le pire bruit qu’elle ait jamais entendu avait frappé ses tympans, suivi d’un silence total. Assourdie non pas par la puissance de l’explosion – jaillissement quasi volcanique de matière inflammable, de vis, de clous et d’écrous mélangés à de la mort-aux-rats pour augmenter les saignements – mais par une autre voix, plus profonde, plus effroyable encore, celle des dizaines de passagers brutalement arrachés à la vie : les sanglots des mères qui laissaient de petits orphelins, les cris des fillettes qui ne grandiraient pas, les pleurs des enfants qui ne rentreraient plus chez eux et des hommes qui se séparaient de leur femme. Elle a entendu la lamentation des membres déchiquetés, de la peau carbonisée, des jambes qui ne marcheraient plus, des bras qui n’étreindraient plus, de la beauté enterrée sous les cendres, et cette lamentation-là, voilà qu’elle l’entend de nouveau. Elle se bouche les oreilles et tombe lourdement sur les genoux de Micky. "

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Commentaires
G
Je ne crois pas que ce soit le moment pour moi de me plonger dans une telle violence. Mais plus tard sans doute.
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R
Non, ce n'est pas si violent. Si je l'ai lu, c'est que c'est tout à fait abordable...C'est un très bon livre quand on aime le roman psychologique
C
Merci cela me cfm dans mon.prochain achat lecture<br /> on m'en a parlé...je ne connais pas cette écrivaine...<br /> Je finis un excellent petit livre ...une histoire vraie<br /> d'une tibétaine. ...SONAME yangchen...du Tibet en Europe...en passant par l'Inde...magnifique<br /> Bon Dimanche Françoise
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R
Tu devrais aimer ce livre, tellement juste dans son analyse de nos pulsions, émotions, souffrances...Le vécu est la meilleure source d'inspiration, tu l'as vérifié dans ta dernière lecture.<br /> Bon dimanche, Cathy!
D
Bonjour Ritournelle, je confirme que c'est un beau roman. C'est le deuxième livre que je lisait de Zeruya Shalev, j'aime beaucoup sa manière de raconter. http://dasola.canalblog.com/archives/2017/08/19/35535796.html Bonne fin d'après-midi.
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R
Je n'ai lu que ce livre de cette écrivaine, et ça me donne envie de découvrir les autres tant j'apprécie son talent.<br /> Bon dimanche, Dasola !