Karitas, tome 1 : L'esquisse d'un rêve - Kristin Marja Baldursdottir

S'il est une littérature étrangère à découvrir, c'est bien la littérature islandaise qui regorge de pépites en tout genre. Le roman de K.M.Baldursdottir en est une preuve ; c'est une oeuvre puissante, dont les résonances sont nombreuses lorsqu'on s'intéresse à l'art et au destin de ces femmes qui ont choisi de s'affirmer dans un univers hostile qui exige des luttes permanentes.
Karitas naît au début du 20ème siècle dans une famille de pêcheurs; le père s'absente pour une longue partie de l'année, comme tous les hommes de la région, la pêche étant la principale ressource économique. Très tôt, l'enfant manifeste une aptitude au dessin; elle réalise des croquis de géographie ou de botanique à l'école , ce qui attire l'attention de son père, lui-même doué pour cette activité qu'il pratique entre les saisons de pêche . Il offre à sa fille un carnet de croquis. A partir de ce moment-là, Karitas sait que son destin est tracé : elle veut devenir artiste. Mais le père décède en mer et la mère prend l'initiative de quitter l'ouest de l'île pour aller dans les villes du Nord où ses enfants pourront faire des études. Avec ses deux autres filles ,Halldora et Bjarghildur , elle découpe et sale des harengs sur le port dAkureyri. Les deux fils aînés vont à l'école, quant au petit frère, c'est Karitas qui en a la charge, tout comme elle doit assumer les tâches ménagères. Puis ses frères et soeurs quittent le domicile familial pour aller suivre des études, tandis qu'elle ne voit pas d'issue à son rêve secret. Mais, le hasard fait parfois bien les choses : une bourgeoise de la ville, peintre ,repère sont talent et décide de financer sa formation à l'Académie des Beaux-Arts de Copenhague. Après cinq années d'étude, et un diplôme en poche, Karitas revient près des siens et n'a d'autre choix que de travailler au salage du hareng, malgré un talent reconnu.
Cependant, elle croise sur son chemin le beau Sigmar, et là, débute une autre tranche de vie pour Karitas avec ses joies, ses souffrances et toujours en arrière-plan, ce désir inassouvi de ne vivre que pour l'art...
Dans ce roman incroyablement dense, il y a plusieurs centres d'intérêt : tout d'abord, le témoignage historique de cette vie âpre où le climat et l'inconfort ne facilitent pas le quotidien des hommes, autant que celui des femmes ; celles-ci jouent la plupart du temps le rôle de chef de famille, doivent assumer des tâches pénibles, en plus de leurs maternités successives. Ce sont des femmes fortes, à qui le droit de vote,  depuis 1915, pour celles de plus de 40 ans, permet de rêver à une condition meilleure pour leurs enfants .
Ce pays est aussi magnifiquement évoqué avec sa géographie particulière que sont les fjords, les glaciers, où mer et montagne composent des paysages superbes, sublimés par la lumière.
Terre de traditions aussi, avec ses légendes où se côtoient trolls, fées, êtres fantastiques, dont sont imprégnés les personnages, surtout Karitas, qui navigue souvent entre réalité et fiction, sans pouvoir contrôler ses peurs.
Mais c'est bien elle le personnage lumineux de ce roman; sa pugnacité, cette volonté sans faille qui la pousse à aller vers son destin d'artiste malgré tous les obstacles sociaux, l'enferment dans une solitude touchante. C'est une battante, qui lutte contre les préjugés de son temps avec pour seul but d'atteindre sa vérité.
L'originalité du récit est dans sa composition, chaque chapitre débute par la description d'un tableau que Karitas peint ou imagine, en permettant au lecteur de prendre la place de l'artiste.
Des phrases émerge toute une palette d'émotions qui résument la passion prête à éclore, le doute, l'angoisse, mais aussi des parenthèses enchantées devant la beauté.
"Le soleil émerge de la mer.
La surface de l'océan est rouge acajou.
Le ciel violet foncé.
Les deux couleurs s'illuminent, si lentement que nous ne le percevons pas, mais nous sentons combien notre esprit devient de plus en plus clair à chaque minute, jusqu'à ce qu'il nous abandonne, aspiré par un rayon qui s'est formé sur la mer étale, se précipite à une vitesse vertigineuse dans cette boule d'or rouge en fusion.
Le bonheur emplit nos coeurs."

"Le matin est doux et délicieux.
Puis le soleil se lève, majestueux, comme un prince de conte de fées qui s'éveille d'un enchantement.
Le fjord et les montagnes deviennent des pierres précieuses.
Nous sommes comme hypnotisés, osons à peine respirer tant que se déroule ce somptueux spectacle de création du monde.
Enfin je bouge la tête, regarde la campagne vers l'intérieur du fjord, vois la citadelle des elfes flamboyer, notre maison orange près de l'estuaire et mon linge sur les fils, jaune doré et enjoué."
Il y aurait encore beaucoup à dire sur cette oeuvre magistrale et bouleversante que l'on dévore avec délice, émotion , et dont on est impatient de connaître la suite.
A bientôt pour le tome 2!

Comments

[cathy]

Oui ...en effet ....en lisant ton résumé...on a envie de découvrir le livre de cette islandaise.....je ne connais que A Indridason....bonne journée Francoise...

[Ritournelle]

C'est un régal de lecture qui me donne envie de découvrir davantage la littérature islandaise. Tu aimeras certainement !