Trame d'enfance - Christa Wolf

Cette écrivaine allemande, figure majeure de la littérature de la RDA, a écrit le livre qui a profondément marqué Mazarine Pingeot. Toutes deux ont eu une enfance hors norme, faite de non-dits, de silences, et le raconter est une entreprise délicate.
Bon petit soldat relate celle de Mazarine, que l'on connaît, par contre celle de Christa Wolf évoque des périodes très sombres de l'Histoire.
La romancière et essayiste née en 1929 dans une petite ville allemande située aujourd'hui en Pologne, et décédée à Berlin en 2011, publie ce livre en 1976. La nécessité de l'écrire s'est imposée à elle après un voyage -retour dans sa ville natale ,quittée en 1945 avec sa famille, comme beaucoup d'allemands de l'Est déplacés vers l'ouest par les troupes soviétiques. Lors de cet exode, elle rencontre un déporté du camp de Sachsenhausen, évadé de la "Marche de la mort", vêtu de son pyjama rayé. Christa a alors 16 ans, elle est tellement étonnée de voir cet homme qu'il s'adresse à elle par ces mots : "Mais dans quel monde avez-vous vécu?". L'adolescente, qui a grandi dans une famille nazie, réalise alors l'horreur du régime qu'elle a jusque là adulé. 26 ans plus tard, beaucoup de choses ont changé en Allemagne, la romancière  engagée politiquement à gauche, commence à prendre du recul par rapport à l'état Est-allemand.
Le retour aux origines, en 1971 , en compagnie de sa fille, de son frère et de son mari, la plonge dans un lent travail de mémoire pour tenter de faire revivre les pires années de l'histoire de l'Allemagne, sous le 3ème Reich et pendant la seconde guerre mondiale, mais surtout pour essayer de trouver une explication à la passivité de ceux qui ont adhéré à l' idéologie national-socialiste et fermé les yeux sur l'innommable.
Elle se souvient des "mots à paillette"prononcés par les adultes, qui étaient une énigme pour l'enfant, elle s'interroge sur leur part de responsabilité, sur leurs silences. Elle faisait alors confiance à ses parents, comme tous les enfants . Plus tard, l'adolescente faisant partie obligatoirement des "Jeunesse hitlériennes", participait avec une grande ferveur à toutes les cérémonies organisées en l'honneur du Führer, dont le seul nom procurait une incroyable émotion.
Comment se remettre d'une telle faute, partagée par bon nombre d'allemands , victimes de l'endoctrinement nazi? 

"La question est : quelles sont les circonstances qui provoquent la perte collective de la conscience morale?"

"Es-ce que l'on ment aux autres lorsque soi-même on croit aux mensonges?"

"Elle voulait savoir comment on pouvait crier et ne faire qu'un avec tous les autres en voyant le Fürher".

Dans ce roman dense qui aborde les thèmes de la mémoire, de l'Histoire, du comportement humain face aux pires horreurs, de la culpabilité, l'écriture a aussi une place importante. Sous une identité déguisée, Christa devient Nelly, cela met la distance nécessaire entre l'adulte et l'enfant, et pour cela la romancière utilise 'Elle". Puis, elle passe au "Je" ou au "Tu" lorsqu'elle s'adresse à celle qu'elle a été. Dans cette quête sur le passé, le souci d'intégrité est essentiel, il se plie aux méandres du souvenir , s'immisce dans ses trames...
Voilà un livre fort, courageux, qui invite à la réflexion et qui a une portée certaine dans le monde d'aujourd'hui, prêt à de multiples débordements.

"Nous, gens d'aujourd'hui, nous croyons que l'homme est capable de tout. Nous pensons que tout est possible. Nous sommes au courant. Peut-être est-ce là la différence la plus importante qui sépare notre époque de celles qui la précédèrent."
 

Comments

[cathy]

Je note ce livre...je ne connais pas C Wolf..
.je lis en ce moment le livre de D de Vigan sur sa famille
"rien ne s'oppose à la nuit"

[Ritournelle]

J'ai beaucoup aimé "Rien ne s'oppose à la nuit": pour moi, c'est son meilleur livre. Quant à "Trame d'enfance", ce n'est pas une lecture facile, mais très intéressante.