Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog de Ritournelle

Religion = dogme?

Ritournelle

En tant que gardienne et interprète d’une vérité révélée, la religion semble difficilement pouvoir se passer de dispenser des dogmes. Par exemple, pour la religion chrétienne, celui de la Trinité est censé permettre aux fidèles de mieux comprendre la prétention du Christ à se présenter comme le fils de Dieu.
Pourtant, l’expérience religieuse ne dépend pas nécessairement de l’adhésion à ce qu’affirment officiellement les églises. Ainsi les mystiques prétendent entrer directement en relation avec Dieu, et les déistes estiment pouvoir s’appuyer sur leur propre raison pour l’atteindre. Le dogme serait alors compris comme un obstacle à la foi, comme un gage d’obscurantisme.
Cependant, la multiplicité des interprétations possibles d’un texte sacré risque de dissoudre la religion qui en perpétue la mémoire. Les dogmes pourraient alors permettre à une religion de ne pas se fragmenter en sectes et d’approfondir l’étude de ses sources saintes au risque de considérer comme hérétiques ceux qui ne suivent pas ses directives.

L’islam réduit au minimum les dogmes concernant Dieu : la profession de foi (la Chahada) affirme seulement qu’il n’y a qu’un seul Dieu et que Mahomet est son prophète. Les musulmans sont
ainsi invités à lire et à interpréter le Coran avec leur propre raison, tout en formant une communauté de foi et en respectant la dimension juridique du texte sacré.

Père de la réforme protestante, Martin Luther rappelle dans De la liberté du chrétien (1520) que « seule l’Écriture sauve » et non la tradition, que « seule la foi sauve » et non les œuvres par lesquelles on espère acheter son salut. Estimant que l’Église catholique s’est égarée dans ses dogmes, il en appelle à un sursaut de la communauté chrétienne.

Voulu par Robespierre pendant la Révolution, le culte de l’Être suprême se traduisait par une série de fêtes civiques destinées à réunir périodiquement les citoyens pour « refonder » la Cité autour d’un Dieu distinct de celui des religions traditionnelles. Soucieuse de promouvoir des valeurs sociales et abstraites comme la Fraternité ou le Bonheur, la foi républicaine trouvait dans le déisme des dogmes jugés compatibles avec les exigences de la raison.

L’Histoire montre que toute religion a un fondateur et que son message, pour être transmis après sa mort, a dû être à la fois fixé dans un texte sacré et interprété par ses successeurs. Si l’on définit le dogme comme une vérité indiscutable à laquelle le croyant doit adhérer pour appartenir à une religion, on voit mal alors comment une religion pourrait s’en passer. Par exemple, sont considérés comme chrétiens tous ceux qui professent le credo établi par l’Église en 325 au concile de Nicée-Constantinople. Mais l’Histoire témoigne aussi de ce que les désaccords des croyants dans l’interprétation du message initial sont fréquents au point parfois de diviser une religion en courants opposés, comme ce fut le cas pour le christianisme avec le schisme orthodoxe en 1054 ou le schisme protestant au XVIe siècle. Est-ce à dire que le dogme peut paradoxalement fragiliser une religion ? Et si tel est le cas, cela implique-t-il qu’une religion, pour durer, doit se passer de dogme ? Mais alors n’est-ce pas pour elle courir le risque qu’elle se dissolve en une multitude de courants, de sectes, chacun interprétant comme il l’entend le texte sacré ? Comment une religion pourrait-elle se passer de dogme tout en réunissant dans une même foi ceux qui la revendiquent ?

Le dogme, une nécessité pour la religion.

Le message délivré par un fondateur de religion n’est pas toujours directement accessible. Par exemple, les proverbes de Salomon, les paraboles de Jésus ou le style souvent très poétique du Coran ont légitimement suscité de nombreuses interprétations, parfois divergentes. Pour assurer la communauté de foi des croyants, il semble donc légitime que chaque religion fixe et résume le contenu de ce à quoi il faut croire. L’islam s’en tient, lui, à une seule formule (la Chahada) en guise de dogme.
Distinguant la « religion dynamique », portée par les mystiques, et la « religion statique », incarnée par les institutions religieuses, Bergson reconnaît la nécessité du dogme qui « renforce et discipline » la société pour assurer son unité, même s’il soutient par ailleurs que le dogme ne fait pas l’essence de la religion.

Mais pourquoi le dogme ne suffit-il pas ? Se pourrait-il que, loin de rendre la religion plus accessible, il fasse obstacle à la foi ?

La foi sans les dogmes.

Les tristes guerres de religion qui ont divisé la chrétienté aux XVIe et XVIIe siècles ont eu précisément pour cause la critique adressée par les protestants contre les excès dogmatiques de l’Église catholique, Luther rappelant que « seule l’Écriture sauve » et non la tradition. De ce conflit fratricide naîtra l’idée de tolérance et, au XVIIIe siècle, la recherche d’une nouvelle communauté de foi fondée sur la seule raison : le déisme.

Pour Voltaire, catholique, tout comme pour Rousseau, protestant, ce qui importe, ce n’est pas la religion extérieure, qui, par intérêt politique, abuse de son pouvoir, mais la religion intérieure. Dans l’Émile, Rousseau ne reconnaît que le « culte du cœur » et rejette les « dogmes spéculatifs » institués par les hommes. La foi peut se passer de dogme, et la religion naturelle qui rationalise la croyance peut suffire à guider les hommes.

Mais peut-on encore parler de religion quand tout dogme disparaît ? La foi rationalisée n’est-elle pas ce qui détrône les religions traditionnelles, comme en témoigne l’institution par Robespierre du culte de l’Être suprême pour sacraliser la République naissante ?

La religion entre foi et raison.

Toute religion se réfère à une vérité révélée et non à une vérité démontrée. Pour ne pas tomber dans l’obscurantisme, les autorités religieuses ont donc pour obligation de trouver un juste équilibre entre ce que commande la foi et ce qu’exige la raison.
C’est pourquoi, aux yeux de Spinoza, la religion ne doit pas confisquer le travail d’interprétation des Écritures, mais le guider en offrant une méthode de lecture permettant, par exemple, de comprendre que Moïse n’a pas pu écrire le Deutéronome (le cinquième livre de la Bible), puisqu’on y décrit sa propre mort et le deuil du peuple juif. Ainsi, seuls les dogmes mal construits, érigés par intérêt politique et ajoutés artificiellement au texte sacré, font obstacle à la vraie piété.

Imposés par les autorités religieuses, les dogmes semblent interdire au croyant de spéculer sur ce qui anime sa foi. Il est donc tentant, au nom de la liberté d’interprétation, de vouloir s’en passer. Pourtant, ce sont eux qui, bien souvent, permettent aux membres d’une communauté religieuse de se reconnaître et d’exister. Une religion ne peut donc se passer de dogme, mais, pour espérer durer, elle se doit de les justifier rationnellement.

Extrait de Une religion sans dogme est-elle possible? Philosophie magazine n° janv.2021

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commentaires