L'idée du bonheur
Tel que nous l'entendons en Occident, le bonheur est issu d'une démarche singulière de la philosophie grecque qui l'a promu au stade d'absolu. Cette pensée repose sur deux supports:d'une part, l'idée de finalité-le bonheur est un objectif à atteindre, le but de la vie- d'autre part, l'idée d'âme - le bonheur concerne en l'homme autre chose que sa vie biologique.Chez Homère, l'âme est la soupape de vie qui s'échappe du corps lors de la mort pour aller on ne sait trop où dans le royaume d'Hadès. Puis la psyché devient une instance douée de conscience aboutissant à la question de son immortalité. L'âme se constitue ainsi comme le propre de l'homme, elle est l'instance du bonheur. Quant à la finalité, elle signifie à la fois but et perfection. Chez Aristote, dans son 1er livre, ce bonheur est conçu comme lié au politique au coeur de la cité , alors que dans le dernier, il concerne la personne. On voit là pointer le drame de la pensée grecque, lorsque le bonheur dans la cité commence de s'effriter dans ce qui deviendra le sujet. C'est un peu ce que nous vivons actuellement en Europe avec ce repli sur l'idéologie molle du développement personnel qui fait son marché du désenchantement politique. Pourtant la déclaration de St Just en 89 "le bonheur est une idée neuve en Europe" reste d'une grande force. Lorsque la Constitution de 89 fixe en préambule le bonheur de tous comme fin de l'humanité, elle dessine une forme idéale au vivre ensemble et à la liberté, c'est à dire qu'elle rend possible la démocratie et l'autonomie du sujet. C'est à cela que sert l'idée occidentale de bonheur et qui vaut qu'on s'y tienne.
Face à la pensée grecque, la pensée chinoise a écrit un important écart : à la notion d'âme, elle préfère l'idée d'animation, de souffle. Dès lors, la grande aspiration chinoise n'est pas la l'immortalité de l'âme mais la longue vie. Elle est précieuse pour dissoudre l'idée de bonheur personnel mais impuissante à produire des idéaux d'humanité qui sont aussi les moteurs de l'émancipation politique.
F.Jullien - extrait du dossier Pourquoi ne sommes-nous pas plus heureux ?-Philosophie magazine été 2013